Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
Vom Netzwerk:
sûr.
    — Qu’est-ce qui vous a conduit à la mer ?
    Pepe Lobo tarde un moment à répondre. Comme s’il avait besoin
de réfléchir.
    — La nécessité, madame. Comme presque tous les marins
que je connais… Seul un imbécile choisirait la mer par goût.
    — Peut-être aurais-je été un de ces imbéciles, si
j’étais née homme.
    Elle a dit cela tandis qu’elle marche en regardant droit
devant elle. Puis elle se rend compte que Pepe Lobo la contemple fixement.
Quand elle lui rend son regard, elle lit dans les yeux du marin des traces
d’étonnement.
    — Vous êtes une femme étrange, madame. Permettez-moi de
vous le dire.
    — Pourquoi ne le permettrais-je pas ?
    Au coin de la rue de la Viande et de l’église du Rosaire, un
groupe d’habitants du quartier et de passants discute devant une affiche collée
au mur du couvent. Il s’agit d’un avis de la Régence concernant les dernières
opérations militaires, y compris l’échec de l’expédition du général Blake dans
le comté de Niebla et l’annonce de la reddition de Tarragone aux Français. Près
de l’affiche officielle en a été collée une autre, précisant en termes acerbes
que la perte de la ville catalane est due à l’inaction du général anglais
Graham qui n’a pas jugé bon de secourir la garnison espagnole. À part Cadix qui
reste sauf derrière ses fortifications et ses canons, il ne vient du reste de
la Péninsule que des mauvaises nouvelles : incompétence des généraux,
indiscipline militaire, les Britanniques opérant à leur guise, et limites peu
claires entre les guérillas et les bandes de brigands et d’assassins. De
défaite en défaite, comme dit ironiquement le cousin Toño, jusqu’à la victoire
finale. Quitte à boire la coupe jusqu’à la lie.
    — Savez-vous que vous n’avez pas bonne réputation,
capitaine ? Je ne parle évidemment pas de vos qualités de marin.
    Un silence prolongé. Ils parcourent ainsi une vingtaine de
pas, l’un près de l’autre, jusqu’à la petite place San Agustín. Qu’est-ce qui
m’autorise à lui dire ça ? s’interroge Lolita, confuse. De quel
droit ? Je ne reconnais pas cette idiote qui ose parler à ma place.
Irritée et insolente envers un homme qui ne m’a rien fait et que je n’ai vu
qu’une demi-douzaine de fois dans ma vie. Un moment après, en arrivant devant
la librairie de Salcedo, elle s’arrête brusquement pour regarder le corsaire en
face, dans les yeux. Sûre d’elle et décidée.
    — Certains disent que vous n’êtes pas un homme
d’honneur.
    Elle est intriguée de n’observer aucun embarras, aucune
contrariété chez Pepe Lobo qui demeure immobile, le paquet du Naval
Gazetteer sous le bras. Son expression est sereine, mais cette fois il ne
sourit pas.
    — Je ne sais pas qui a dit ça, mais il a raison… Je
n’en suis pas un. Et je ne prétends pas en être un.
    Ni excuses, ni arrogance. Il a répondu avec naturel. Sans
détourner le regard. Lolita penche légèrement la tête de côté. Elle pèse cette
réponse.
    — C’est étrange de vous entendre parler ainsi. Tous les
hommes prétendent en être un.
    — Eh bien, vous voyez. Pas tous.
    — Votre cynisme me choque… Dois-je l’appeler
ainsi ?
    Un cillement rapide. Cette fois, enfin, il semble pris de
court par le mot. Cynisme. Peut-être ne le connaît-il même pas, se dit-elle.
Peut-être tout cela est-il naturel, dans sa condition. Dans sa vie, si
différente de la mienne. Sur les lèvres du corsaire se dessine maintenant un
fin sourire. Songeur.
    — Appelez-le comme vous voudrez, mais ça présente
certains avantages, dit Pepe Lobo. L’époque n’est pas aux politesses du genre
« tirez le premier ». Ce n’est pas ça qui vous donne à manger… Même
si ce n’est que le biscuit trempé dans l’eau, le lard rance et le vin baptisé
d’un bateau.
    Il se tait et s’attarde sur les alentours : le porche
de l’église sous la statue du saint, le sol en terre battue de cette place
tranquille où marchent des colombes, les boutiques ouvertes, la vitrine et les
caisses de la librairie de Salcedo et de celles, voisines, des rues Hortal,
Murguía et de Navarre avec leurs livres exposés. Il contemple tout comme
quelqu’un qui ne fait que passer et regarde de loin, ou de l’extérieur.
    — C’est agréable de converser avec vous, madame.
    Aucune ironie dans le commentaire. Lolita s’en étonne.
    — Pourquoi ?… Sûrement pas pour ce que je viens

Weitere Kostenlose Bücher