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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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retrouve le même
battement dans les veines de ses poignets que ce jour de leur rencontre sur la
place San Francisco. La conversation sur le dragonnier peint sur l’éventail et
ces paroles qui, dans sa mémoire, semblent avoir été prononcées par une autre
bouche que la sienne. Il faudra me raconter tout ça, capitaine. Un autre jour,
peut-être… Quand vous serez de retour au port. Lolita n’oublie pas les mains
brunes et fortes, le menton, où malgré le passage récent du rasoir pointait
déjà dès le matin la barbe noire et fournie. Les cheveux drus, les pattes
basses, épaisses et bien taillées. Mâles. Le sourire comme un trait blanc sur
la peau hâlée. Elle l’imagine de nouveau, maintenant, en cet instant précis,
debout sur le pont incliné du cotre corsaire, les cheveux volant au vent, les
yeux mi-clos sous le rayonnement aveuglant du soleil. Cherchant des proies à
l’horizon.
    Elle reste près de la fenêtre, écoutant le silence de la
ville. Même avec la persienne baissée, l’air chaud de l’extérieur s’infiltre
par les fentes. Les jours de fort levant sont terminés, et Cadix ressemble à un
navire endormi dans l’eau tiède et calme, encalminé dans sa propre mer des
Sargasses. Un vaisseau fantôme dont Lolita Palma serait à elle seule tout
l’équipage. Ou l’unique survivante. C’est ainsi qu’elle se sent en ce moment,
dans le silence et la chaleur qui l’entourent, adossée au mur, pensant à Pepe
Lobo. Son corps est mouillé, la peau de sa nuque humide. De minuscules gouttes
de sueur glissent sur la naissance de ses cuisses nues sous la soie.
     
    *
     
    La haute et lourde masse de la Porte de Terre se découpe
dans la nuit, sous la voûte fourmillant d’étoiles. Suivant les murs blanchis à
la chaux du couvent de Santo Domingo, Rogelio Tizón tourne à gauche. Une
lanterne à huile éclaire le coin de la rue de la Goulette, dont l’angle
intérieur est plongé dans l’ombre. Au moment où les pas du policier résonnent à
cet endroit, une forme en émerge.
    — Bonsoir, monsieur le commissaire, dit la Persil.
    Tizón ne répond pas au salut. La matrone vient d’ouvrir une
porte, découvrant la lueur d’une chandelle allumée qui brûle de l’autre côté.
Elle entre, suivie de Tizón, prend la chandelle et éclaire un étroit couloir
aux parois écaillées, qui pue la crasse humide et le poil de chat. Malgré la
chaleur de la rue, ce couloir produit une sensation de froid. Comme s’il
pénétrait dans une autre saison de l’année.
    — Mon amie dit qu’elle fera ce qu’elle peut.
    — Je l’espère.
    La vieille écarte un rideau. Derrière, se trouve un réduit
dont les murs sont tapissés de couvertures de Jerez où pendent des images
religieuses, des estampes de saints, des ex-voto en cire et en laiton. Sur un
buffet d’une élégance insolite, est disposé un petit autel avec une
reproduction du Christ de l’Humilité et de la Patience dans une urne de verre,
éclairée par des petites veilleuses qui flottent dans une écuelle d’huile. Le
centre de la pièce est occupé par une table couverte d’une grande nappe sur
laquelle est posé un bougeoir en laiton avec un cierge dont la mèche allumée
dessine des lumières et des ombres sur les traits de la femme qui attend, assise,
les mains sur la table.
    — La voici, monsieur le commissaire. La Caracole.
    Tizón n’ôte pas son chapeau. Il s’installe sans cérémonie
sur une chaise vide devant la table, la canne entre les genoux, et regarde la
femme. Laquelle, de son côté, l’observe, immobile. Âge indéfinissable, entre la
quarantaine et la soixantaine. Cheveux teints en rouge cuivré, visage de
Gitane, peau lisse. Des bras nus et bien en chair : celui qu’elle appuie
sur la table porte des bracelets en or. Au moins une douzaine, estime le
policier. Sur la poitrine, un énorme crucifix, un reliquaire et un scapulaire
avec une Vierge brodée qu’il ne parvient pas à identifier.
    — J’ai déjà expliqué à mon amie ce qui vous préoccupe,
monsieur le commissaire, dit la Persil. Donc je vous laisse seuls.
    Tizón acquiesce et se tait, occupé à allumer un cigare,
pendant que le bruit des pas de la matrone s’éloigne dans le couloir. Puis il
contemple l’autre femme dans un halo de fumée que disperse la flamme du cierge.
    — Que peux-tu me dire ?
    Un silence. Tizón a entendu parler de la Caracole – son
travail consiste à entendre parler de tout le monde –, mais il ne

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