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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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l’a
encore jamais vue. Il sait qu’elle est arrivée dans la ville il y a six ou sept
ans et qu’elle a été marchande de beignets à Huelva. À Cadix, elle a la
réputation d’être très pieuse et d’avoir le don de voyance. Les petites gens
viennent lui demander des conseils ou des remèdes. Elle en vit.
    La femme a fermé les yeux et marmonne quelque chose
d’inaudible. Peut-être une prière. Ça commence mal, se dit Tizón. Le coup
classique de la Gitane.
    — Il tuera encore…, murmure la voyante au bout d’un
moment. Cet homme recommencera.
    Elle a une voix étrange, constate Tizón. Torturée et un peu
grinçante, qui met mal à l’aise. Ça rappelle le gémissement d’un animal malade.
    — Comment sais-tu que c’est un homme ?
    — Je le sais.
    Tizón tire sur son cigare, pensif.
    — Je n’avais pas besoin de venir te voir pour apprendre
ça, conclut-il. Je l’avais déjà trouvé tout seul.
    — Mon amie m’a dit…
    — Écoute, Caracole – le policier a levé une main,
impératif –, ne me raconte pas d’histoires. Je suis ici parce que je ne
veux rien négliger… Parce qu’on ne sait jamais. Et que je ne perds rien à
essayer.
    C’est vrai. À force de tout retourner dans sa tête, il a eu
cette idée de consulter la voyante. Sans se faire beaucoup d’illusions,
naturellement. Il a suffisamment roulé sa bosse pour que ce ne soit pas la
première diseuse de boniments qu’il rencontre dans sa vie. Mais il vient de le
dire : il ne perd rien à essayer. Ce n’est pas plus déraisonnable ni moins
illogique que de constater que l’assassin a tué la dernière fois avant que
la bombe ne tombe. Après ça, Tizón est convaincu qu’il ne doit négliger aucune
possibilité. Aucune idée, si absurde soit-elle. Consulter la Caracole, c’est un
tir en aveugle. Un de plus parmi bien d’autres qu’il a faits – et qu’il
fera encore, il le craint – depuis le dernier assassinat.
    — Vous croyez à la grâce que j’ai reçue de Dieu ?
    — Moi ?… Tu veux que je croie à quoi ?
    La femme l’observe avec méfiance. Sans répondre. Tizón avive
la braise de son cigare en tirant longuement dessus.
    — Je ne crois pas à ta grâce ni à celle de personne.
    — Alors pourquoi êtes-vous là ?
    C’est une bonne question, se dit le policier.
    — Je travaille, résume-t-il. J’essaye de vérifier des
choses difficiles… Mais attention ! Ton amie a dû te prévenir : avec
moi, on ne joue pas.
    Un chat noir sort de l’obscurité, contourne les pieds de la
table et vient se frotter contre ses bottes. Sale bête.
    — Dis-moi seulement si tu vois pour de bon quelque
chose qui pourrait m’aider. Sinon, tant pis. Je me lève et je m’en vais… Tout
ce que je te demande, c’est de ne pas me faire perdre mon temps.
    La Caracole fixe son regard sur un point de l’espace
derrière le policier et demeure immobile, sans ciller. Puis elle ferme les
yeux – Tizón en profite pour écarter le chat d’un coup de pied – et,
un peu plus tard, elle les rouvre. D’un air absent, elle regarde tour à tour le
chat qui miaule lamentablement à côté d’elle, et le policier.
    — Je vois un homme.
    Le commissaire se penche, les coudes sur la table, hargneux.
Le cigare fumant au coin de la bouche.
    — Ça, tu l’as déjà dit. Ce qui m’intéresse, c’est la
relation avec les endroits sur lesquels tirent les Français.
    — Je ne comprends pas ce que vous voulez dire.
    — Est-ce qu’il y a un rapport entre les deux ?…
Entre les filles mortes et les bombes ?
    — Quelles bombes ?
    — Mais, bon Dieu de merde, celles qui tombent sur
Cadix !
    La femme semble l’étudier de haut en bas. D’abord
déconcertée, ensuite critique.
    — Vous êtes un esprit fort, dit-elle au bout d’un
instant. Trop incrédule. Alors il est difficile que la grâce de Dieu m’éclaire.
    — Fais un effort. Je dois bien croire à quelque chose,
puisque je suis ici.
    Le regard de la voyante se perd de nouveau derrière Tizón.
Maintenant, elle a croisé les mains sur la croix et le scapulaire qu’elle porte
sur la poitrine. Le temps approximatif de deux Ave María. Après quoi, elle
cligne des yeux et hoche la tête.
    — Impossible. Je ne peux pas me concentrer.
    Tizón ôte son chapeau et se frotte le crâne. Découragé et
réprimant l’envie de partir. Puis il se recouvre. Le chat passe de son côté
avec d’extrêmes précautions, en décrivant un demi-cercle qui

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