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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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de se voir forcé de neutraliser l’assassin sans avoir éclairci les
étranges règles physiques qui régissent son jeu. Sans savoir s’il est l’auteur
absolu ou un simple agent d’une trame plus complexe. Clef suprême ou simple
pièce de l’énigme.
    — Où en est-on avec ce Fumagal ?
    Il est revenu près de son adjoint qui regarde le corps
masqué par la couverture, tout en se curant consciencieusement le nez. Le
subalterne esquisse une mimique qui ne l’engage à rien. Son rôle n’est pas
d’interpréter les faits, mais de les suivre avec ponctualité et d’en informer
son chef. Cadalso est de ceux qui dorment sans se compliquer la vie. À poings
fermés.
    — Il est toujours sous surveillance, monsieur le
commissaire. Les hommes se sont relayés deux par deux cette nuit devant chez
lui.
    — Et ?
    Un silence gêné : le temps, pour le sbire, de
considérer si le monosyllabe exige ou non une réponse circonstanciée.
    — Et rien, monsieur le commissaire.
    Tizón frappe le sol avec sa canne, impatient.
    — Il n’est pas sorti cette nuit ?
    — Non. Pas que je sache. Les agents jurent qu’il est
resté chez lui toute l’après-midi. Ensuite il est allé souper à la taverne de
la Perdrix, il s’est arrêté un moment au café de l’Ange et il est rentré tôt.
La lumière de ses fenêtres s’est éteinte vers neuf heures et quart.
    — Trop tôt… Tu es sûr qu’il n’est pas sorti ?
    — C’est ce que disent ceux qui ont veillé. Ne m’en
demandez pas plus… Les hommes qui étaient de garde assurent qu’ils n’ont pas
bougé de là et que le suspect ne s’est pas présenté à la porte.
    — Les rues sont sombres… Il a pu passer par un autre
endroit. Par-derrière.
    Cadalso plisse le front, en pesant longuement cette
hypothèse.
    — Ça me semble difficile, conclut-il. La maison n’a pas
d’autre issue. L’unique possibilité est qu’il soit descendu par la fenêtre dans
la cour de la maison voisine. Mais, si vous me permettez cette observation, ça
fait vraiment trop de suppositions.
    Tizón approche son visage de celui du sbire.
    — Et s’il est sorti par la terrasse pour passer dans la
maison mitoyenne ?
    Un silence éloquent. Coupable, cette fois.
    — Cadalso… Tu me donnes envie de chier sur toi et tous
tes ancêtres.
    Contrit, l’homme baisse la tête. Il baisserait aussi les
oreilles s’il le pouvait.
    — Imbécile, martèle Tizón. Bande d’imbéciles dégénérés.
    L’adjoint balbutie des excuses sans grand fondement, que le
commissaire écarte d’un geste de la main qui tient la canne. Être pratique
avant tout. Le temps est compté et il faut se concentrer. La première chose à
faire est de s’assurer que l’oiseau ne s’échappe pas du filet.
    — Qu’est-ce qu’il fait, en ce moment ?
    Cadalso le regarde, soumis. Un gros chien maltraité qui
cherche à se réhabiliter auprès de son maître.
    — Il est toujours chez lui, monsieur le commissaire.
Tout semble normal… À toutes fins utiles, j’ai fait doubler la surveillance.
    — Il y a combien d’hommes, maintenant ?
    — Six.
    — C’est tripler, animal.
    Calculs mentaux. Cadix est un échiquier. Il y a des coups
efficaces et des coups parfaits. Le joueur intelligent est caractérisé par sa
prévoyance et sa patience. Tizón aimerait être intelligent, mais il se sait
seulement rusé. Et joueur chevronné. Il faudra bien, constate-t-il, résigné, se
contenter de ce qu’il a.
    — Enlevez le corps. Portez-le à la morgue.
    — On n’attend pas la Persil ?
    — Non. Sur celle-là, pas besoin de vérifier sa
virginité, comme sur les autres.
    — Pourquoi, monsieur le commissaire ?
    — Tu ne m’as pas dit que c’était une pute ?…
Crétin.
    Il fait quelques pas au milieu de la rue et regarde autour
de lui. Il veut avoir la confirmation de ce qu’il a senti tout à l’heure, quand
il évoquait la possibilité – il l’évoque encore avec appréhension – qu’une
bombe lui tombe dessus. Il ne s’agit pas de quelque chose de concret, mais d’un
soupçon indéfinissable, presque imperceptible. Quelque chose qui est lié aux
sons et au silence, au vent et à son absence. À la densité, peut-être, ou la texture, si c’est le mot qui convient, de l’air dans cette partie de la rue. Et ce
n’est pas la première fois que ça arrive. Observant les alentours, se déplaçant
très lentement, Rogelio Tizón essaye de se souvenir. Il a à présent

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