Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
Vom Netzwerk:
discussion et son
journal favori. Une Espagne et ses provinces d’Outre-mer en miniature.
Plusieurs de celles-ci en état d’insurrection, bien sûr, profitant de la
guerre.
    Lolita Palma vient de sortir du commerce de mode de la place
San Antonio, devant le café d’Apollon. C’est la boutique la plus élégante de la
ville – avant, elle s’appelait « La Mode de Paris », et
maintenant, vu les circonstances, « La Mode espagnole » –, dont
les articles et les robes sont convoités par les dames et les demoiselles de la
meilleure société de Cadix. Malgré cela, la propriétaire de la firme
Palma & Fils n’y commande aucun effet, car une couturière et une
brodeuse travaillent sur des patrons simples qu’elle dessine elle-même en
prenant ses idées dans des revues françaises et anglaises. Elle passe dans la
boutique pour connaître le goût du jour et acheter du tissu ou quelques
articles accessoires : la femme de chambre qui la suit à trois pas porte
deux cartons soigneusement empaquetés, contenant six paires de gants, autant de
bas, et de la dentelle blanche pour les dessous.
    — Que Dieu vous garde, Lolita.
    — Bonjour. Saluez madame votre épouse.
    L’artère principale est un va-et-vient de visages presque
tous connus, de têtes masculines qui se découvrent sur son passage. Bref, c’est
la Calle Ancha, la grande rue. Peu de femmes, à cette heure de la journée.
Aussi attire-t-elle davantage les regards des hommes. Amabilités et coups de
chapeau, courtoises inclinations de la tête. Tout ce qui compte ici connaît la
femme qui gère avec prudence et compétence, en dépit de son sexe plus ou moins
faible, l’entreprise de son aïeul et de son père défunts. Un concentré de
l’activité gaditane : commerce avec les Indes, navires, investissements,
risques maritimes. Pas comme d’autres femmes de la partie, des veuves pour la
plupart, qui se bornent au rôle de bailleurs de fonds en touchant commissions
et intérêts. Elle, elle prend des risques, joue, perd ou gagne. Elle donne du
travail et fait gagner de l’argent. Solide capital et vie irréprochable.
Décence. Solvabilité, crédit et réputation. Un million et demi de pesos de
capital, à vue de nez. Au moins. Une des nôtres, sans aucun doute. Des douze ou
quinze familles qui comptent. Une tête bien faite posée sur des épaules que
l’on dit très jolies, sans que personne puisse se vanter de les avoir vues.
Toujours bonne à marier à trente-deux ans, même si elle n’est plus de la
première jeunesse.
    — Au revoir. Bonjour.
    Elle marche au milieu de la rue, tête haute. Faisant sonner
ses talons, sereine. C’est sa rue et c’est sa ville. Elle est vêtue de gris
très sombre, avec pour seule note de couleur une mantille de flanelle garnie
d’un ruban bleu. Une petite bourse assortie. La mantille, les cheveux serrés
sur la nuque et bouclés sur les tempes, avec les escarpins de lin brodés
d’argent sont la seule concession accordée à la promenade ; la robe est
celle qu’elle porte pour travailler et recevoir dans son bureau, simple,
pratique, convenable à l’extrême. Elle devrait y être à cette heure-ci, mais
elle est sortie pour une affaire financière délicate : des lettres de
change douteuses, acquises il y a trois semaines, qu’elle vient juste de
négocier avec succès à la caisse de San Carlos, avec la commission adéquate.
Les gants, les bas et la dentelle de La Mode espagnole, anciennement La Mode de
Paris, sont une manière de fêter cela. Discrètement. Comme tout ce quelle pense
et fait.
    — Félicitations pour le Marco Bruto. J’ai lu
dans la Vigía qu’il est arrivé sans encombre.
    C’est son beau-frère Alfonso. De la maison
Solé & Associés : tissus anglais et marchandises de
Gibraltar. Guindé et froid comme d’habitude, redingote beige et gilet mauve,
bas de soie, canne en rotin des Indes. Chapeau qu’il n’ôte pas, se bornant à y
porter deux doigts et en soulever légèrement le bord. Lolita Palma le trouve
toujours aussi peu sympathique qu’il y a six ans, quand il s’est marié avec sa
sœur Caridad. Entre eux, les relations familiales ne dépassent pas les limites
de la stricte bienséance. Une visite par semaine à la mère, et guère plus. La
dot de quatre-vingt-dix mille pesos que lui a octroyée son défunt beau-père n’a
jamais vraiment satisfait Alfonso Solé ; et les Palma n’ont pas non plus
apprécié la manière dont cet argent a été

Weitere Kostenlose Bücher