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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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l’avoir pour
belle-fille, en lui rebattant les oreilles des mérites de son fils Miguel,
aujourd’hui son associé et l’heureux époux d’une autre jeune Gaditane.
L’absence d’alliance familiale n’a jamais altéré les bonnes relations entre les
maisons Palma et Sánchez Guinea. C’est don Emilio qui a conseillé la jeune
femme lors de ses premiers pas dans les affaires, à la mort de son père. Il le
fait encore, quand celle-ci a recours à ses avis et à son expérience.
    — Tu rentres chez toi ?
    — Je vais à la librairie de Salcedo. Je veux voir si
des commandes sont arrivées.
    — Je t’accompagne.
    — Vous devez avoir des choses plus importantes à faire.
    Le vieux négociant rit joyeusement.
    — Quand je te vois, je les oublie toutes. Allons-y.
    Il lui offre le bras. En chemin, ils commentent la situation
générale, l’état de diverses affaires dont ils partagent les intérêts.
L’insurrection des Amériques complique beaucoup les choses. Plus, même, que le
siège français. L’exportation de produits vers l’autre rive de l’Atlantique a
diminué de façon alarmante, les rentrées de fonds sont minimes, faute de
numéraire, et certains commettent l’erreur d’investir en papier-monnaie qu’il
est difficile, ensuite, de convertir en bon argent. Néanmoins, Lolita Palma
parvient à compenser l’absence de liquidités par de nouveaux marchés : à
la farine et au coton des États-Unis, aux récentes exportations vers la Russie
et à la bonne position de la ville comme dépôt de marchandises en transit,
viennent s’ajouter de prudents investissements dans les lettres de change et
les risques maritimes : cette dernière spécialité étant justement celle de
la maison Sánchez Guinea, qui y associe la firme Palma & Fils par
des avances de capitaux pour financer des voyages commerciaux dont le remboursement
inclut intérêts et commissions. Une pratique financière que l’expérience et le
bon sens de don Emilio rendent très rentable, dans une ville qui a toujours
besoin d’argent en espèces.
    — Il faut se faire à cette idée, Lolita : un jour
la guerre finira, et alors les vrais problèmes surgiront. Lorsque les mers
seront de nouveau libres, ce sera trop tard. Nos compatriotes des Amériques se
sont habitués à commercer directement avec les Yankees et les Anglais. Et
pendant ce temps, ici, nous continuons à vouloir leur faire payer au prix fort
ce qu’ils peuvent se procurer tout seuls… La pagaille en Espagne leur permet de
comprendre qu’ils n’ont pas besoin de nous.
    Lolita marche en lui tenant le bras, dans la Calle Ancha.
Ils passent devant des larges porches, des belles boutiques, des maisons de
commerce. Il y a, comme d’habitude, de nombreux clients à l’intérieur de
l’orfèvrerie de Bonalto. Encore d’autres groupes de gens, encore des saluts de
passants et de connaissances. La femme de chambre marche toujours derrière avec
les paquets. C’est la jeune Mari Paz : celle qui chante des romances avec
une jolie voix en arrosant les jardinières.
    — Nous pourrons nous rétablir, don Emilio… L’Amérique
est très vaste, et la langue et la culture ne se rompent pas facilement. Nous
serons toujours là-bas. Et puis il y a de nouveaux marchés. Voyez les Russes…
Si le tsar déclare la guerre à la France, ils auront besoin de tout.
    L’autre hoche la tête, sceptique. Cela dure depuis trop
longtemps, dit-il. Et il ajoute que cette ville a perdu sa force. Sa raison
d’être. La sentence est tombée en 1778, quand il a été mis fin au monopole du
commerce avec l’Outre-mer. Quoi que l’on puisse dire, l’autonomie des ports
américains est irréversible. Plus personne ne peut contrôler ces créoles. Pour
Cadix, les crises successives et la guerre sont les clous qui scelleront son
cercueil.
    — Ne soyez pas pessimiste, don Emilio.
    — Pessimiste ? Combien de désastres a vécus cette
ville ?… La guerre coloniale de l’Angleterre nous a finalement fait beaucoup
de tort. Puis est venue la nôtre avec la France révolutionnaire, suivie de la
guerre avec l’Angleterre… C’est là que nous avons vraiment plongé. La paix
d’Amiens a apporté plus de spéculation que de vrai commerce : souviens-toi
de ces vieilles maisons françaises d’ici qui se sont effondrées d’un coup…
Après, nous avons eu la nouvelle guerre contre les Anglais, puis le blocus et
la guerre avec la France… Tu dis pessimiste, ma fille ?…

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