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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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sabre à son épaule, puis lève le
bras et les fusils sont épaulés plus ou moins à l’horizontale. Pour certains, non
sans lenteur. En principe, quatre soldats doivent viser le dos de chaque
condamné, dont les silhouettes se détachent sur le courant tourbillonnant du
canal.
    Simon Desfosseux ne parvient pas à entendre l’ordre de
tirer. Il perçoit seulement les détonations irrégulières des fusils – les
tirs résonnent en désordre, comme à contrecœur, au lieu de la décharge groupée
réglementaire, et plusieurs cartouches font long feu – et la fumée
blanchâtre de la poudre qui se dissipe immédiatement dans la pluie.
    — Merde, merde, murmure Bertoldi. Merde.
    Un bousillage, pense Desfosseux, et qui s’accorde bien avec
le jour et les circonstances. Il est à deux pas de vomir le breuvage avalé il y
a moins d’une demi-heure. Le déserteur au gilet est tombé de face dans la boue,
immobile, et la pluie répand rapidement une flaque rouge vif le long des
manches de la chemise trempée. Mais le garçon petit et brun, tombé sur le côté,
gigote dans la boue en essayant de ramper malgré les mains attachées dans le
dos, et laisse une traînée de sang en levant la tête – il a toujours les
yeux bandés – à la manière d’un aveugle qui tente de comprendre ce qui se
passe autour de lui. Quant au rouquin, il est toujours assis par terre en
poussant des petits gémissements de terreur, mais sans la moindre égratignure
visible, dans les rafales de pluie qui crépitent.
    La diatribe que le colonel d’état-major adresse au
lieutenant et celle que celui-ci répercute sur le peloton hostile arrivent
nettement aux oreilles de Simon Desfosseux. Les soldats qui entourent le ravin
se dévisagent entre eux et jurent ouvertement en regardant les officiers.
Personne ne sait que faire. Après une hésitation, le lieutenant sort un
pistolet de sous sa cape, s’approche de celui qui se traîne et fait feu ;
mais l’amorce ne brûle qu’un peu de poudre humide, et le coup ne part pas. Le
lieutenant scrute et manipule son arme, désemparé. Puis il se tourne vers le
peloton et ordonne de recharger les fusils ; mais tous, y compris
Desfosseux, savent qu’avec ce vent et cette pluie cela ne servira à rien.
    — Vous verrez qu’on les finira à la baïonnette, murmure
un officier.
    Dans le groupe courent, contenus, quelques rires
sarcastiques. En bas, au fond du ravin, c’est le sous-officier de la
gendarmerie, un vétéran à grosse moustache, qui met fin à la situation. Avec
une grande présence d’esprit et sans attendre d’ordre de personne, il s’empare
de la carabine d’un de ses hommes, se dirige vers le blessé qui rampe et
l’achève d’une balle à bout portant. Puis il échange l’arme contre celle d’un autre
gendarme, s’approche du rouquin assis par terre et lui décharge un coup dans la
tête. Le garçon tombe en avant en boulant comme un lapin. Après quoi,
l’adjudant rend la carabine et, pataugeant avec indifférence dans la boue,
passe devant le lieutenant confus sans le regarder pour aller se mettre au
garde-à-vous face au colonel d’état-major. Qui, non moins confus, lui rend son
salut.
    Les hommes retournent à leurs postes, lentement. Certains
protestent à voix basse ou jettent un dernier coup d’œil aux trois corps
immobiles sur le bord du canal. Le lieutenant Bertoldi regarde les deux
officiers de marine espagnols, qui, toujours sous la garde de la sentinelle,
rentrent dans le baraquement.
    — Ça ne me plaît pas que les manolos aient assisté à
ça, commente-t-il.
    Simon Desfosseux, qui remonte le col trempé de sa capote et
baisse la tête sous le déluge, rassure son adjoint.
    — Ne vous en faites pas… Ils font la même chose avec
les leurs. Et, question cruauté, ils n’ont de leçons à recevoir de personne.
    Le capitaine chemine dans la tranchée spongieuse en
direction du pont à demi détruit. Il rêve d’un peu de feu de bois qui
atténuerait l’humidité de ses vêtements et réchaufferait ses mains gelées. Il
aura quand même la chance de trouver le café encore tiède, ajoute-t-il avec un
sourire optimiste. En tout cas, conclut-il, on n’imaginerait jamais
l’importance que peuvent prendre, dans des circonstances extrêmes telles que
celles qu’ils doivent vivre ici, une boisson chaude, un quignon de pain
ou – comble du luxe, ces jours-ci – une pipe ou un cigare. Il se
demande parfois si, après tout cela, il

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