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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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faiblement.
    — C’est ça. Les marques sur ton plan, tu te
rappelles ?… Les points de chute. Des lieux particuliers. Cadix.
    — J’ai déjà tout dit… sur les bombes…
    — Tu mens. Je t’assure. Allons, un bon mouvement. Je
suis fatigué, et toi aussi… Tout ça n’est qu’une perte de temps.
    L’autre sursaute comme s’il venait de recevoir un coup. Un
de plus.
    — J’ai dit ce que je sais, gémit-il. Le Mulâtre…
    — Le Mulâtre est mort et enterré. On l’a passé au
garrot, tu te souviens ?
    — Je… les bombes…
    — Exact. Des bombes qui explosent et des femmes mortes.
Raconte-moi ça.
    — Je ne sais rien… de femmes.
    — Mauvaise réponse. – La bouche de Tizón se tord
dans un sourire qui n’éclaire en rien son visage impassible. – Avec moi,
il vaut mieux savoir que ne pas savoir.
    Le taxidermiste bouge la tête dans tous les sens, au bord de
l’évanouissement. Au bout d’un moment, il tressaille et émet une plainte longue
et rauque. Avec une curiosité technique, le policier observe le filet de salive
qui coule de la commissure des lèvres, glisse sur le visage et goutte sur le
sol.
    — Où caches-tu le fouet ?
    Fumagal remue les lèvres, en vain. Comme s’il n’arrivait pas
à coordonner les mots.
    — Le… fouet ? finit-il par articuler.
    — Mais oui. Tressé avec du fil de fer. Ton instrument à
écorcher.
    L’autre agite faiblement la tête pour dire non. Tizón lance
un bref regard à Cadalso qui s’est approché de la table, nerf de bœuf au poing.
L’adjoint frappe un seul coup, rapide et sec, entre les cuisses de Fumagal. La
plainte de celui-ci se transforme en hurlement d’angoisse.
    — Ça ne vaut pas la peine, affirme Tizón avec une
douceur féroce. Je t’assure.
    Il attend un instant, surveillant le visage du prisonnier.
Puis il se tourne de nouveau vers Cadalso et le nerf de bœuf claque encore une
fois : le hurlement de Fumagal passe à l’aigu, un glapissement d’horreur
et de désespoir que le commissaire analyse d’une oreille professionnelle en y
guettant la note, le point exact qu’il cherche. Et que, conclut-il irrité, il
ne trouve pas.
    — María Luisa Rodriguez, seize ans, Porte de Terre…,
reprend-il patiemment.
    Gémissements. Nerf de bœuf et cris. Pauses soigneusement
calculées. Ces messieurs les libéraux des Cortès devraient bien faire un tour
par ici, se dit Tizón pendant l’une d’elles. Eux qui jouent aux mondes idéaux
avec leur souveraineté nationale, leur habeas corpus et autres insanités de
godelureaux.
    — Je ne veux pas savoir pourquoi tu les as tuées,
dit-il au bout d’un moment. Pas maintenant, en tout cas… Je veux juste que tu
me confirmes les lieux de chacune… Et aussi la question de l’avant et de
l’après des bombes… Tu me suis ?
    Les yeux du taxidermiste, exorbités par la douleur, le
regardent un instant. Tizón croit y lire une lueur de compréhension. Ou une
fêlure.
    — Raconte-moi ça, et tu pourras enfin te reposer. Nos
amis se reposeront. Tout le monde se reposera.
    — Les bombes…, murmure Fumagal, la voix rauque.
    — C’est ça, camarade. Les bombes.
    L’autre remue les lèvres sans émettre de son. Tizón se
rapproche encore un peu, aux aguets.
    — Vas-y. Dis-le-moi une bonne fois… Six bombes et six
femmes mortes. Finissons-en.
    De si près, le prisonnier répand une odeur âcre, de sueur et
de décomposition corporelle. De chair tuméfiée. Mouillée. La même que celle de
tous les autres après quelques jours de traitement. Quand on peaufine
l’ouvrage, comme dit le docteur Tire-bourre.
    — Je ne sais… rien… des femmes.
    Le murmure s’exhale comme le souffle d’un dernier soupir.
Suivi de violents vomissements. Le commissaire, qui avait presque collé
l’oreille aux lèvres du taxidermiste pour être sûr de ce qu’il entendrait,
s’écarte, écœuré.
    — Dommage que tu ne le saches pas.
    Brutal, dépourvu d’imagination et sans autre initiative que
celle de son chef et supérieur, l’adjoint attend, nerf de bœuf à la main,
l’ordre de frapper de nouveau. Tizón le dissuade d’un regard.
    — Calme-toi, Cadalso. Ça promet d’être long.
     
    *
     
    Un rayon de soleil perce le voile de nuages bas et épais qui
stagnent toujours au-delà des hauteurs de Chiclana, de l’autre côté de l’étier
Saporito, du canal de Sancti Petri et du labyrinthe des marais et des salines.
Quand Felipe Mojarra sort de chez lui, la

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