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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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lui fait
enfoncer davantage son chapeau et remonter le col de sa redingote.
    Après être resté un moment sans bouger, le commissaire
retourne sous la protection de l’arc, gratte une allumette soufrée contre le
mur et s’apprête à allumer le cigare qu’il a toujours aux lèvres. Brusquement,
à mi-chemin, au moment où il protège la flamme du creux de sa main, il se
ravise et éteint l’allumette. Pour ce qu’il cherche, si tant est qu’il y a
quelque chose, il a besoin de son odorat libre de la fumée et de ses sens
aiguisés. De sorte qu’il remet le cigare dans l’étui et chemine lentement dans
la rue du Silence, aux aguets, avec des manières de chasseur prudent, guettant
des sensations et des sons tapis dans les cavités obscures de la ville, entre
le bruit sec de ses pas. Il n’est pas certain de ce qu’il voudrait trouver. Un
vide, peut-être. Ou une odeur. Ou simplement un souffle de brise, ou l’absence
subite de celle-ci.
    Il tente de calculer où et quand tombera la prochaine bombe.

 
13
    Au-delà de la marche de marbre blanc et de l’enseigne
annonçant en lettres noires Café de la Poste, de l’autre côté de la
porte largement ouverte près d’une des deux arcades par lesquelles on accède à
la cour intérieure bordée de colonnes, le commissaire Tizón et le professeur
Barrull viennent de terminer leur deuxième partie d’échecs. Sur les cases, le
fracas de la bataille s’éteint lentement : il reste un roi sur la case de
départ d’un fou – le policier jouait avec les blancs –, acculé sans
pitié par un cavalier et une dame. À plusieurs cases de là, deux pions se
regardent en chiens de faïence, en se bloquant mutuellement le passage. Tizón
lèche ses blessures, mais la conversation change de terrain. Elle passe sur un
autre échiquier.
    — Elle est tombée, professeur. Cinq heures plus tard.
Au coin de la rue du Silence, juste devant l’arc des Gardes-marines… À trente
pas en ligne droite de la cour du château où l’on a découvert la fille.
    Hipólito Barrull écoute attentivement en nettoyant ses
verres de lunette avec son mouchoir. Ils sont à leur table habituelle. Tizón,
le dossier de sa chaise appuyé contre le mur et les jambes allongées sous la
table. Des tasses de café et des verres d’eau traînent au milieu des pièces
prises.
    — Celle-là est vraiment tombée, ajoute le commissaire.
Et celle de la chapelle de la Divina Pastora aussi. Mais la précédente, non.
Rue du Laurier, une fille est morte, et pourtant aucune bombe n’est arrivée à
cet endroit, ni avant, ni après. Ça change en partie la donne. Tout est remis
en question.
    — Je ne vois pas pourquoi, objecte le professeur. C’est
peut-être seulement le signe que l’assassin est quand même sujet à l’erreur…
Que, finalement, sa méthode, ou appelons cela comme nous voudrons, n’est pas
parfaite.
    — Les lieux, pourtant…
    Tizón s’interrompt, incertain. Son interlocuteur redouble
d’attention.
    — Il y a des lieux…, poursuit le policier après une
hésitation. Je l’ai remarqué. Des endroits où les conditions sont différentes.
    Barrull acquiesce, songeur. Après le massacre sur
l’échiquier, son visage chevalin a recouvré son expression affable. Il ne
ressemble plus à l’adversaire inhumain qui, cinq minutes plus tôt, accablait
Tizón de grossièretés et d’insultes terribles – vous avez de la merde dans
les yeux, commissaire, je vais vous arracher le foie, et autres
gentillesses – pendant qu’il déplaçait ses pièces avec une fureur
homicide.
    — Je vois, dit-il. Et ce n’est pas la première fois que
vous m’en parlez… Depuis combien de temps cette idée vous trotte-t-elle dans la
tête ?… Des semaines ?
    — Des mois. Et, chaque fois, je suis plus convaincu.
    L’autre hoche la tête, secouant son abondante chevelure
grise. Puis il ajuste soigneusement ses lunettes.
    — C’est peut-être comme avec Ajax, suggère-t-il.
Ou comme avec l’espion que vous avez arrêté. Vous êtes possédé par votre
obsession et cela trouble votre jugement. De faux indices, qui mènent à des
conclusions erronées. Ce n’est pas scientifique… Romanesque, plutôt. Peut-être avez-vous
trop d’imagination pour faire un bon policier.
    — Il est trop tard pour changer de métier.
    Un sourire de Barrull, ironique et complice, accueille le
commentaire. Puis le professeur indique l’échiquier. Il y a une part de
vous-même que je

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