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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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ville elle-même, tapie dans
son lacis inextricable de rues et de détours, qui se moque de Rogelio Tizón.
Telle est la pensée du commissaire, pendant qu’à la lueur d’une lanterne il
baisse la tête en protégeant son chapeau pour passer par la brèche ouverte dans
le mur du château des Gardes-marines : un vieil édifice en pierre, obscur
et délabré, inhabité depuis quinze ans. Tizón sait qu’il ne s’agit pas d’un
lieu quelconque : c’est ici que passait l’ancien méridien de Cadix. En
d’autres temps, la tour carrée qui se dresse encore dans la partie sud a
hébergé les installations de l’Observatoire de la Marine, et dans le corps nord
se trouvait l’académie des cadets de la Marine royale, jusqu’au jour où
observatoire et gardes-marines ont été transférés sur l’île de León. Transformé
ensuite en caserne, et après une tentative sans lendemain d’y mettre la
nouvelle prison, le château, acquis par un particulier, a été abandonné. Son
état est tel que même les émigrés qui cherchent un logement dans la ville ne
peuvent s’y installer, du fait de ses murs écroulés, de ses toits effondrés et
de ses poutres vermoulues.
    — Elle a été découverte par des gosses de la rue de la
Maison Neuve, l’informe son adjoint Cadalso. Deux frères.
    Jusqu’à la dernière minute, Tizón a souhaité qu’il s’agisse
d’une erreur. D’une simple coïncidence qui n’altère pas l’instable équilibre
des choses. Mais à mesure qu’il pénètre dans l’ancienne cour d’armes et avance
derrière Cadalso, qui, toujours empressé, lui ouvre le chemin parmi les
décombres jonchant le sol, son espoir s’évanouit. Au fond de la cour, sous le
donjon proche de la herse de la porte principale murée avec des pierres et des
planches, la flamme d’un quinquet posé par terre dessine un demi-cercle de
lumière. Et dans ce demi-cercle gît, sur le ventre, le corps d’une femme jeune
dont le dos découvert a été lacéré à coups de fouet.
    — Merde à Dieu et à la putain qui l’a enfanté !
    Le brutal blasphème fait sursauter Cadalso. Lequel n’est, ni
de près ni de loin, particulièrement pieux. L’adjoint ne doit pas apprécier ce
qu’il lit sur la figure du commissaire. Grâce à la lanterne sourde que le sbire
tient à bout de bras, Tizón observe son visage horrifié quand il se retourne
pour le regarder.
    — Qui est au courant ?
    — Les enfants… Et leurs parents, bien sûr.
    — Qui d’autre ?
    L’adjoint indique deux formes obscures, enveloppées dans des
capes, qui attendent devant le cadavre, à la limite de l’autre lumière.
    — Le brigadier et le veilleur de nuit. Ce sont eux que
les gamins ont avertis.
    — Enfonce-leur bien dans le crâne que si quelqu’un
bavarde, je lui arrache les yeux et les lui fourre dans le cul… C’est
clair ?
    — Très clair, monsieur le commissaire.
    Une brève pause. Menaçante. Un léger balancement de la
canne.
    — Et ça vaut aussi pour toi, Cadalso.
    — Ne vous inquiétez pas.
    — Si. J’ai de quoi m’inquiéter. Et toi aussi. Avec tout
ce que tu sais.
    Tizón fait un effort pour se contrôler, garder son calme et
ne pas céder aux rafales de panique qui le parcourent. Il se trouve à cinq pas
du cadavre. Le brigadier et le veilleur s’avancent pour le saluer. Ils ont tout
inspecté, explique le brigadier, s’appuyant sur sa pique. Pour eux, il n’y a
personne de caché dans les parages. Et aucun voisin, à part les enfants, n’a vu
quoi que ce soit de suspect. La fille est très jeune, une quinzaine d’années.
Ils croient l’avoir identifiée : une petite servante de l’auberge proche
dite « de l’Académie », mais ils ne sont pas sûrs, la lumière est
trop faible et les dégâts sur le corps trop importants. Ils estiment qu’elle a
pu être tuée peu après le coucher du soleil, car les enfants ont joué dans la
cour toute l’après-midi et il n’y avait rien.
    — Pourquoi sont-ils revenus, la nuit tombée ?
    — Ils vivent tout près ; à cinquante pas. Après le
souper, le chien de la maison s’est échappé et ils le cherchaient. Comme ils
ont l’habitude de jouer ici, ils ont pensé qu’il pouvait y être… Quand ils ont
trouvé le corps, ils ont prévenu leur père, et celui-ci nous a appelés.
    — Savez-vous qui est le père ?
    — Un cordonnier. Il a la réputation d’être un honnête
homme.
    Tizón les congédie d’un mouvement de tête. Allez à la

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