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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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la tête en signe d’acquiescement. Il
semble être arrivé à une certaine forme de conclusion, inconnue d’elle.
    — Je ne sais pas quelle opinion vous avez de moi. Mais
je vous assure…
    Il se tait, ou plutôt laisse mourir sa phrase dans un vague
soupir qui étonne chez un homme. Cette voix et le silence qui suit font
frissonner Lolita Palma. À la fois de désir physique et d’espoir égoïste.
Rapide comme l’éclair, c’est le second qui s’impose, et seule demeure l’avidité
de la question intéressée, inévitable :
    — Est-ce qu’on peut le faire ?
    Du coup, Pepe Lobo rit. Doucement, en sourdine, mais sans
tenter de s’en cacher. On dirait qu’un personnage invisible vient de lui
raconter une histoire drôle, si bas que Lolita n’a pu l’entendre. Ce rire lui
donne un espoir et la fait trembler en même temps. Seul quelqu’un qui a entendu
rire le diable, pense-t-elle soudain, est capable de si bien l’imiter.
    — On peut essayer, murmure le corsaire. C’est la
fortune de mer… On peut réussir comme on peut échouer.
    — C’est ce que je vous demande. D’essayer.
    Il abaisse son regard sur le clapotis de l’eau, devenue
presque noire au pied du rempart entre les rochers auxquels l’écume poussée par
le vent donne une étrange phosphorescence.
    — Concédez-moi que vous en demandez trop.
    — Je vous le concède.
    Le corsaire continue de suivre des yeux les filaments
d’écume lumineuse. De tous les hommes du monde, se dit soudain Lolita, de tous
ceux que j’ai rencontrés et que je rencontrerai, il est celui que je connais le
mieux. Et il ne m’a prise qu’une seule fois dans ses bras.
    — Pourquoi devrais-je le faire ?
    Elle tarde à répondre, car elle est encore sous le coup de
ce qu’elle vient de découvrir. Le pouvoir inconnu dont elle est pour la première
fois consciente. Tout est si simple, désormais. Si évident quelle est atterrée
de sa naïveté : s’être ainsi laissée aller sans réserve cette
nuit-là – déjà lointaine, aujourd’hui impossible – contre la poitrine
du corsaire, en respirant l’odeur de son corps et en sentant sous ses mains
étonnées et maladroites son dos dur et viril. Ferme et solide comme elle
n’avait jamais pu l’imaginer. Ignorant, jusqu’aujourd’hui, les terribles
conséquences que ce court instant imposait à l’homme qui contemple la mer, tête
baissée.
    — Parce que je vous le demande.
    Elle le dit avec fermeté, mais aussi une économie de mots et
d’intonation. Consciente qu’au moindre faux pas Lobo lèvera les yeux, la
regardera différemment, revenant de ses visions d’écume phosphorescente à la
réalité, et que tout ira définitivement se perdre dans la nuit violacée qui
n’en finit pas de se répandre dans les ombres sous le rempart.
    — Je peux être tué, murmure-t-il avec une simplicité
désarmante. Et avec moi tous mes hommes.
    — Je le sais.
    — J’ignore s’ils voudront le faire… Personne ne peut
les y forcer. Pas plus moi qu’un autre.
    — Ça aussi, je le sais.
    — Vous…
    Il a relevé la tête et la regarde dans ce qu’il reste de
lumière ; mais, pour lui, c’est déjà trop tard. Même si, en entendant ce
dernier mot, Lolita vacille un instant dans son propos tenace, elle se reprend
tout de suite. Et elle garde le silence. Rien que le vent et la rumeur du
ressac sur les pierres.
    — Damnation ! murmure Pepe Lobo.
    Lolita est frappée par la sécheresse et la précision de cet
unique mot. Mais elle continue de se taire. Toutes les victoires ne sont pas
douces, pense-t-elle. Pas les victoires comme celle-là.
    — Vous n’avez jamais rien su de moi, dit le corsaire.
    Ce n’est pas un regret, observe-t-elle. Juste un constat technique.
Triste, au pire. Ou résigné.
    — Vous vous trompez. Je sais tout de vous.
    Elle a parlé avec plus de douceur qu’elle ne le désirait.
Elle s’en rend compte et s’arrête un instant. Indécise. De nouveau le bref
fléchissement de l’émotion, quelques secondes de tendresse. Trop loin pour
respirer son corps, cette fois.
    — Tout, répète-t-elle, plus sèchement.
    Et, réfléchissant sur ce qu’elle vient de dire, elle conclut
que c’est absolument vrai.
    — C’est pour ça que je suis venue, ajoute-t-elle.
Immédiatement. Parce que je sais tout ce que j’ai besoin de savoir.
    Elle remarque qu’il détourne les yeux. Évitant son visage ou
peut-être refusant de montrer le sien.
    — Et moi j’ai

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