Cadix, Ou La Diagonale Du Fou
faire tenir le maréchal tranquille ; même si,
intimement mortifié, Desfosseux reste convaincu que, si on le laissait utiliser
des mortiers de gros calibre au lieu d’obusiers et des bombes de plus grand
diamètre avec des grandes espolettes au lieu de grenades, l’efficacité dans la
destruction égalerait les progrès réalisés dans la portée, et que ses
projectiles raseraient la ville. Mais, suivant l’exemple du maréchal Victor,
Soult et son état-major, qui s’en tiennent avec beaucoup de prudence aux
volontés de l’empereur, continuent de ne pas vouloir entendre parler de
mortiers ; et encore moins maintenant que Fanfan et ses frères arrivent là
où ils doivent arriver, ou presque. Le duc de Dalmatie en personne – c’est
le titre impérial de Soult – a félicité Desfosseux quelques jours plus tôt
au cours d’une inspection au Trocadéro. Contre son habitude, le duc était de
bonne humeur. Un courrier, l’un des rares qui arrivent à franchir le défilé de Despeñaperros
sans que les guérilleros les pendent à un chêne et leur arrachent les tripes,
avait remis au duc des journaux de Madrid et de Paris faisant mention de la
nouvelle portée des bombardements, et aussi que le convoi transportant le
dernier butin de tableaux, tapis et bijoux pillés par Soult en Andalousie était
arrivé sain et sauf de l’autre côté des Pyrénées.
— Vous ne voulez vraiment pas d’avancement,
capitaine ?
— Non, mon général. – Impeccable claquement de
talons réglementaire. – Mais je vous en remercie beaucoup. Je préfère
garder mon grade, comme le savent mes supérieurs immédiats.
— Très bien. Avez-vous dit la même chose à
Victor ?
— Oui, mon général.
— Vous l’entendez, messieurs ?… C’est un original.
Desfosseux ferme le cahier et reste songeur en pensant à une
autre affaire. Au bout d’un moment, il consulte sa montre. Puis il ouvre la
caisse de munitions vide dont il se sert comme secrétaire et en sort la
dernière communication, reçue l’après-midi même, du policier espagnol. Après un
silence de deux semaines, cet étrange individu se manifeste de nouveau pour lui
demander que, dans les cinq jours qui viennent et peu après quatre heures du
matin, il dirige quelques tirs sur un point précis de la ville. La lettre est
accompagnée d’un croquis de l’aire où doivent tomber les bombes ; et le
capitaine, qui connaît désormais Cadix mieux que les lignes de ses mains, n’a
pas besoin d’un plan pour s’y retrouver : c’est à l’intérieur du secteur
des grenades qui explosent, et il peut l’atteindre sans problème tant que ne
souffle pas un ponant trop fort. Il s’agit de la petite place San Francisco,
jouxtant le couvent et l’église du même nom. Un objectif relativement facile
avec une charge conventionnelle de poudre et une espolette, à condition,
naturellement, que les bombes – qui parfois semblent n’en faire qu’à leur
tête, les garces – ne décident pas de dévier vers la droite ou la gauche,
ou d’être trop courtes et de tomber dans la mer.
Un personnage hors du commun, ce commissaire, pense
l’artilleur, tout en mettant le feu à un coin du papier et en le laissant se
consumer par terre. Peu sympathique, il faut l’admettre. Avec sa tête d’aigle
sombre et ses yeux brillant de violence contenue où se lisent la détermination
et la vengeance insatisfaite. Depuis leur rencontre clandestine près de la
plage, Simon Desfosseux n’a pas répondu par écrit aux communications de
l’Espagnol. Il considère que c’est inutile et risqué. Non pour lui, qui peut se
justifier en arguant d’un indicateur qui l’aide à déterminer des objectifs,
mais pour la propre sécurité de l’individu. Le temps n’est pas aux ambiguïtés,
ni aux nuances. L’artilleur doute que les autorités de l’autre bord acceptent
avec naturel qu’un de leurs policiers, de connivence avec l’ennemi, oriente
certains des tirs qui tombent sur la ville en détruisant des biens et
supprimant des vies. Ce sont des risques que ce Tizón semble mépriser ;
mais Desfosseux ne souhaite pas les augmenter par une indiscrétion. Même le
fidèle Bertoldi, qui l’a aidé à ménager l’entrevue, n’est pas au courant de ce
dont ils ont parlé : il croit toujours qu’il a eu affaire à un espion ou
un indicateur. En ce qui concerne le capitaine, celui-ci s’est borné à exécuter
sa part de l’accord en s’arrangeant pour
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