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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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en même temps, l’homme qui était
sur le point de croiser Tizón baisse la tête et part en courant. Durant
quelques secondes, le commissaire reste perplexe. C’est son instinct de
policier qui décide automatiquement, en concentrant son attention sur l’homme
qui court. Et il lui suffit de le voir faire deux ou trois enjambées pour le
reconnaître. Il courait de la même manière, la nuit de la côte de la Murga,
avec Tizón à ses trousses : rapide, silencieux et tête baissée. La
découverte paralyse un instant le commissaire : un temps suffisant pour
que l’individu passe tout près et poursuive sa fuite en descendant la rue, dans
la brume, son chapeau enfoncé et son court manteau flottant dans son dos comme
les ailes d’un rapace nocturne. Alors, oubliant les coups de sifflet et la
fille, le policier sort son pistolet, arme le double percuteur, le pointe en
toute hâte et appuie sur l’une des deux détentes.
    — À l’assassin ! crie-t-il après la détonation. À
l’assassin !
    Ou la balle est entrée dans la chair du fugitif, ou celui-ci
a glissé sur le pavé humide : Tizón le voit tomber et se relever avec une
étonnante agilité, au coin même de la rue San Francisco. Maintenant le policier
court derrière lui, à quelques pas seulement. La rue descend et cela l’aide. À
l’improviste, le fuyard tourne à droite et disparaît. Tizón le suit, toujours
en courant, mais en tournant le coin il ne voit que la rue vide, dans la
pénombre grise de la brume qui mouille tout. C’est impossible, décide-t-il,
qu’il ait déjà atteint l’autre extrémité. Il s’arrête, essaye de recouvrer son
souffle et son calme pour étudier la situation. Reprenant ses esprits, il
constate qu’il se trouve dans la partie haute de la rue du Bastion, qui
traverse la rue San Francisco. Le silence est absolu. Tizón sort le sifflet de
sa poche et le porte à ses lèvres ; mais, après une hésitation, il renonce
à s’en servir pour le moment. Avec force précautions, en essayant de poser le
talon avant le reste de la semelle de ses bottes pour ne pas faire de bruit, il
avance au milieu de la rue, aux aguets comme un chasseur, regardant d’un côté
et de l’autre, le pistolet dans la main droite et la canne dans la
gauche ; les tympans bouchés par les battements du sang dans ses artères.
Sur son passage, il rencontre des portes fermées ou des porches vides –
beaucoup d’habitants les laissent ouverts à cette époque de l’année – et
un temps désespéré, amer au point de jurer entre ses dents, il est convaincu
d’avoir perdu la partie. Une des dernières maisons, située à gauche et près du
carrefour, a son porche ouvert, long et profond, en forme de vestibule fermé au
fond par l’habituelle grille. Prudemment, Tizón s’adosse au mur humide et
avance la tête dans l’obscurité pour scruter l’intérieur. À peine s’est-il
découpé dans l’ouverture qu’une ombre surgit brusquement, l’écarte d’une
poussée et se précipite dans la rue, non sans que le commissaire lui ait
expédié à bout portant la seconde balle de son pistolet, avec un bref éclair
que masque le manteau de l’homme, tandis que jaillit de ses lèvres un
grognement presque animal, désespéré et violent. Titubant sous l’effet du coup
reçu, Tizón tombe en se froissant le coude. Il se relève du mieux qu’il peut et
part sur les talons du fugitif qui a tourné le coin ; mais, en y arrivant,
il voit la rue déserte dans la clarté blafarde du halo de la lune. De nouveau,
l’homme semble avoir été avalé par le brouillard. Réprimant sa première
réaction qui est de poursuivre sa course, le commissaire s’arrête, respire
profondément et réfléchit. C’est impossible que l’homme ait réussi à atteindre
le carrefour suivant, conclut-il. La rue est trop longue. De plus, une partie
en est occupée par l’église du Rosaire. Cela signifie qu’au lieu de continuer à
fuir, il a cherché refuge sous un autre porche ; et ceux-ci ne sont pas
nombreux sur cette portion de rue. Il a peut-être pris l’endroit au hasard, ou
alors il habite là, dans une maison voisine. De plus, il a probablement été
touché. Il doit avoir besoin d’une cachette provisoire pour inspecter sa
blessure. Pour être un moment tranquille et récupérer. Ou s’évanouir. Sans
perdre un instant de vue la rue, le policier étudie les maisons une par une, en
essayant d’imaginer ce que lui-même aurait fait en

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