Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
Vom Netzwerk:
donne un coup de poing sur la table, si fort
qu’il fait sauter quelques gouttes hors de l’encrier, aspergeant un coin de la
carte. Foutredieu ! jure-t-il. En entendant le bruit, le secrétaire qui
travaille dans la pièce voisine passe la tête par l’embrasure de la porte.
    — Quelque chose ne va pas, monsieur le
commissaire ?
    — Occupez-vous de vos oignons !
    Le secrétaire rentre la tête comme une souris apeurée. Il
sait reconnaître les symptômes. Tizón regarde ses mains posées sur le bord de
la table. Elles sont larges, calleuses, dures. Capables de faire mal. Et quand
c’est nécessaire, elles savent faire mal.
    Un jour, conclut-il, il trouvera le fin mot. Et quelqu’un
paiera pour tout ça.
     
    *
     
    Avec d’infinies précautions, Lolita Palma place dans une
section de l’herbier les trois feuilles d’amarante à côté d’un dessin en
couleurs de la plante complète exécuté de sa main. Chaque feuille mesure deux
pouces et se termine par une toute petite épine plus claire, ce qui permet de
la classer sans difficulté parmi les Amaranthaceae spinosae. Elle n’en
avait encore jamais eu : les spécimens sont arrivés quelques jours plus
tôt de Guayaquil, dans un paquet contenant d’autres feuilles et plantes
envoyées par un correspondant local. Maintenant, elle savoure le plaisir du
collectionneur satisfait d’une nouvelle acquisition. Un doux sentiment de
bonheur. Raisonnable. Une fois séchée la petite goutte de colle qui fixe chaque
spécimen sur le carton, Lolita pose par-dessus une feuille de papier pelure,
ferme l’herbier et le range verticalement sur un rayon de la grande armoire
vitrée, à côté d’autres semblables portant des noms évocateurs qui désignent
tous des trésors singuliers de la Nature : Chrysanthème, Œil-de-bœuf,
Centaurée, Pascalia. Le cabinet botanique, contigu au bureau de travail
situé au premier étage de la maison, est modeste mais suffisant pour les
besoins d’un amateur : confortable, bien éclairé par une fenêtre donnant
sur la rue du Bastion et une autre ouverte sur le patio. On y trouve quatre
grands meubles de classement dont les tiroirs sont étiquetés suivant le
contenu, une table de travail avec un microscope, des loupes et les ustensiles appropriés,
et une bibliothèque avec des œuvres de référence, parmi lesquelles un Linné,
une Description des plantes de Cavanilles, le Theatrum florae de
Rabel, l’ Icones plantarum rariorum de Jacquin-Nikolaus, et un gros
in-folio en couleurs du Des plantes de l’Europe de Merian. Le balcon
vitré en forme de jardin d’hiver qui donne sur le patio porte également
plusieurs jardinières contenant neuf sortes différentes de fougères apportées
d’Amérique, des îles du Sud et des Indes orientales. Quinze autres variétés
dans de grands pots ornent le patio, les balcons qui ne sont jamais frappés par
la lumière du soleil et d’autres lieux sombres de la demeure. La fougère, la filice des Anciens, chez laquelle ni les auteurs classiques ni les spécialistes
modernes de la botanique n’ont jamais réussi à localiser le sexe
masculin – dont l’existence même reste à ce jour une simple
conjecture –, a toujours été la plante de prédilection de Lolita Palma.
    Mari Paz, la femme de chambre, apparaît à la porte du
cabinet.
    — Excusez-moi, mademoiselle… Don Emilio Sánchez Guinea
est en bas avec un autre monsieur.
    — Dis à Rosas de les faire patienter. J’arrive tout de
suite.
    Quinze minutes plus tard, le temps de passer par la
garde-robe de sa chambre pour mettre un peu d’ordre dans sa toilette, elle
descend en boutonnant un spencer de satin gris sur un corsage blanc et une
basquine vert sombre, traverse le patio et pénètre dans la partie de la maison
réservée aux bureaux et aux magasins.
    — Bonjour, don Emilio. Quelle agréable surprise.
    Le petit salon de réception, contigu au bureau principal et
aux autres lieux de travail du rez-de-chaussée, est vieillot et confortable.
Une haute plinthe en bois vernis court le long des murs ornés de gravures
marines encadrées – vues de ports français, anglais et espagnols – et
il est meublé de fauteuils, d’un sofa, d’une pendule High & Evans
et d’une étroite bibliothèque dont les quatre rayons sont pleins de livres de
commerce. Le sofa est occupé par Sánchez Guinea et par un homme plus jeune, la
peau brune et hâlée. Tous deux se lèvent en la voyant entrer, posant sur une
table

Weitere Kostenlose Bücher