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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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que
les relations de la maison Palma & Fils avec cette firme sont
déplorables. Durant la crise de l’année 1796, Tomás Palma a failli être ruiné
par la malhonnêteté d’Ignacio Ussel, qui lui a fait perdre trois cargaisons
importantes. La fille n’a pas oublié.
    — Nous avons une lettre de marque signée par la Régence
pour deux ans, poursuit Sánchez Guinea, un navire armé, un capitaine capable de
réunir un bon équipage, et une côte ennemie le long de laquelle vont et
viennent des bateaux français ou en arrivent d’autres des régions occupées. Que
demander de plus ?… Il y a aussi des récompenses pour les prises sur
l’ennemi, en plus de la valeur des bateaux et de ce qu’ils transportent.
    — À vous suivre, don Emilio, il s’agirait presque d’un
devoir patriotique.
    Le vieux négociant rit de bonne grâce. C’en est un, ma
fille, répond-il. Et y ajouter l’intérêt personnel n’a rien de répréhensible.
Armer pour la course n’est pas déshonorant pour une maison de commerce
respectable. Rappelle-toi que ton père l’a fait sans chercher midi à quatorze
heures. Et je t’assure qu’il en a fait voir aux Anglais. Ça n’est pas comme la
traite des Noirs.
    — Tu sais, conclut-il, que je n’ai pas de problème de
liquidités. Et que je peux trouver d’autres associés. Il s’agit juste d’une
bonne affaire. Comme d’autres fois, je crois de mon devoir de te la proposer.
    Un silence. Lolita continue de fixer la porte fermée.
    — Pourquoi ne le sondes-tu pas un peu ? –
Sánchez Guinea fait un geste d’encouragement. – C’est un homme
intéressant. Moi, je le trouve sympathique.
    — Vous semblez avoir très confiance en lui… Vous le
connaissez si bien que ça ?
    — Mon fils Miguel a fait un voyage avec lui. Valence
aller-retour, juste au moment où nous évacuions Séville et où la panique était
générale. Ils ont même essuyé une tempête. Il est revenu ravi, louant sa
compétence et son sang-froid… C’est Miguel qui a eu l’idée de lui confier la Culebra dès qu’il a su qu’il se trouvait à Cadix sans emploi.
    — Il est d’ici ?
    — Non. Il est né à Cuba, je crois. À La Havane ou dans
les parages.
    Lolita Palma regarde ses mains. Elles sont encore
jolies : de longs doigts, des ongles pas très soignés mais réguliers.
Sánchez Guinea l’observe. Son sourire est devenu songeur. Puis il hoche la
tête, bon enfant.
    — Il y a quelque chose chez lui, tu sais ?… Il est
énergique, il a une personnalité intéressante. À terre, il est peut-être un peu
emprunté. Le mot monsieur ne lui va pas toujours comme un gant. Dans les
affaires de femmes, par exemple, il n’a pas la réputation d’être très
scrupuleux.
    — Mon Dieu, quel portrait vous m’en faites !
    Le vieux négociant lève les deux mains, comme pour se
défendre.
    — Je te dis seulement la vérité. J’en connais qui le
détestent et d’autres qui le tiennent en grande estime. Mais, comme dit mon fils,
les seconds seraient prêts à donner pour lui jusqu’à leur chemise.
    — Et les femmes, elles, qu’est-ce qu’elles
donneraient ?
    — Ça, c’est à toi d’en juger.
    Ils sourient tous deux en se regardant. Sourire vague et un
peu triste chez elle. Un peu surpris, presque curieux, chez lui.
    — De toute manière, conclut Sánchez Guinea, il s’agit
d’engager un capitaine corsaire. Pas d’organiser un bal.
     
    *
     
    Guitares. Lampes à huile. La danseuse a la peau brune,
luisante de la transpiration qui colle ses cheveux noirs sur son front. Ses
mouvements ont tout d’un animal lascif, pense Simon Desfosseux. Une Espagnole
sale, aux yeux sombres. Gitane, suppose-t-il. Ici, ils ont tous l’air de
Gitans.
    — Nous ne nous servirons que de plomb, dit-il au
lieutenant Bertoldi.
    Le local est plein de monde : dragons, artilleurs,
marins, infanterie de ligne. Rien que des hommes. Rien que des officiers. Ils
se pressent autour des tables tachées de vin, assis sur des bancs, des chaises
et des tabourets.
    — Vous ne décrochez jamais, mon capitaine ?
    — Vous voyez. Jamais.
    Avec un geste de résignation, Bertoldi vide son verre et
reprend du vin à la cruche posée devant lui. L’atmosphère est voilée par un
brouillard gris de fumée de tabac. L’odeur de sueur qui se dégage des uniformes
déboutonnés sur les gilets et les manches de chemise est forte. Même le
vin – épais et lourd, de celui qui abrutit au lieu de rendre

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