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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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désorientés, le capitaine d’artillerie a franchi à gué, mouillé
jusqu’à la ceinture, les étiers qui forment la petite île du moulin d’Almansa.
Son pantalon et sa veste sont imprégnés d’une eau boueuse qui ruisselle à
chaque pas dans ses bottes. Le chemin est très étroit, avec sur la gauche des
marécages et des salines, et sur la droite le versant d’une colline couvert de
lentisques et de broussailles qui annoncent le bois de pins proche. Des coups
de feu claquent derrière la colline, et tous regardent dans cette direction en
s’attendant à voir l’ennemi apparaître d’un moment à l’autre. La perspective de
tomber entre les mains d’Espagnols vindicatifs les inquiète tous. Et s’ils
pensent aux féroces guérillas, cette appréhension se change en épouvante.
    Desfosseux a joué de malchance. L’attaque ennemie l’a
surpris ce matin à quatre lieues de son poste habituel : dans le camp de
Torre Bermeja, où il passait la nuit auprès du commandant de l’artillerie du
Premier Corps, le général Lesueur, avec une escorte de six dragons. Le général,
mécontent du feu inefficace de la batterie de Las Fléchas contre le fortin
espagnol situé à l’embouchure du canal de Sancti Petri, l’avait emmené pour
résoudre le problème. Ou pour s’en décharger sur lui. Malgré l’agitation
enregistrée au cours de la dernière semaine le long du front, avec le
débarquement à Tarifa et la tentative ennemie, il y a deux jours, d’établir un
pont de bateaux sur la partie inférieure du canal, Lesueur a décidé de ne pas
bouger de là. Tout est calme, a-t-il dit durant le souper au cours duquel il a
peut-être un peu trop forcé sur la manzanilla. Les Espagnols ont retiré leur
pont en disparaissant comme des rats. Et un peu d’action fortifie le moral des
troupes. Vous n’êtes pas d’accord, messieurs ? Ce soir, ces culs-terreux
d’insurgés ont mordu la poussière devant trois de nos régiments de ligne qui,
en profitant du fond obscur des dunes, ont avancé sur la plage et pu passer sur
l’autre rive en leur réglant leur compte. D’excellents soldats, ces hommes du
général Villatte. Oui. De vrais braves. Rien à craindre, donc. Et faites-moi
plaisir, Desfosseux. Passez-moi encore un peu de vin, si ce n’est pas trop vous
demander. Merci. Nous finirons notre travail demain. En attendant,
reposez-vous.
    Le repos a été de courte durée. Les choses ont changé au
petit matin, quand l’avant-garde ennemie est apparue sur les arrières des
Français, dans la colline du Puerco, poussant jusqu’à Torre Bermeja par le
chemin de Conil et le sable dur de la plage laissé à découvert par la marée
basse, tandis que, de l’autre côté de Las Fléchas, les Espagnols rétablissaient
leur pont de bateaux et traversaient le canal. À midi, pris entre deux feux,
quatre mille hommes de la division Villatte battaient en retraite dans un grand
désordre vers Chiclana, le général Lesueur piquait des éperons pour filer au
galop en emmenant les dragons de l’escorte, et le capitaine Desfosseux à qui un
individu sans scrupule avait volé son cheval – celui-ci n’était plus dans
les écuries quand il avait couru le chercher – se retrouvait en train
d’user la semelle de ses bottes au milieu des fuyards.
    Des coups de fusil crépitent tout près, presque sur la
colline qui touche au bois de pins. Des hommes crient que l’ennemi est sur
l’autre versant, et le torrent de la retraite coule encore plus fort,
bousculant les traînards qui entravent son cours. Une voiture dont la roue
s’est brisée est poussée sur le bas-côté et ses occupants montent sur les mules
qu’ils activent à grands coups de lanières sans se soucier des hommes qui vont
à pied. La panique se propage rapidement pendant que Simon Desfosseux presse le
pas comme les autres. Il avance, visage décomposé, en regardant comme chacun la
colline menaçante, sur sa droite. Il n’a aucune envie de connaître de près le fil
de ces longues navajas espagnoles. Ou les baïonnettes anglaises disciplinées.
    Des détonations retentissent dans les broussailles et des
balles passent en sifflant au-dessus de la colonne. Tout le monde crie.
Quelques hommes sortent de la file, se jettent à plat ventre ou à genoux en
pointant leurs fusils.
    — Les guérilleros !… Les guérilleros !
    D’autres disent que non, que ce sont les Britanniques. Que
le chemin va être coupé un peu plus loin, au petit pont de

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