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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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luire comme
un vernis cicatrices et tatouages. Baïonnette au canon, quelques soldats
portant la veste courte et le chapeau rond des Volontaires galiciens les
surveillent sans zèle excessif.
    — Il y a quelques jours, ils ont envoyé au garrot un
nouvel espion, dit brusquement le Mulâtre. Un certain Pizarro.
    Le taxidermiste acquiesce. Il est au courant, mais n’a pas
de détails.
    — Vous le connaissiez ?
    — Non, heureusement. – Rire cynique. – Si je
l’avais connu, nous ne serions pas en train de nous promener tranquillement.
    — Il a parlé ?
    — En voilà, une question, monsieur ! Ils parlent
tous.
    — J’imagine que vous aussi vous me dénonceriez, si le
cas se présentait.
    Un silence bref et significatif. Du coin de l’œil, Fumagal
lit un sourire moqueur sur les lèvres épaisses de son interlocuteur.
    — Et vous ?
    Le taxidermiste enlève son chapeau pour essuyer encore une
fois la sueur qui ruisselle sur sa peau. Maudite teinture, se dit-il en
contemplant le bout de ses doigts.
    — Pour moi, c’est plus difficile que je tombe,
répond-il. Ma vie est discrète. Mais vous, avec votre barque et vos allées et
venues, vous prenez des risques.
    — Je suis un contrebandier connu : rien de bien
méchant à Cadix, où la crevette et le crabe ont toujours fricoté ensemble. Ici,
on ne vous envoie pas au garrot pour ce genre de choses… De là à être soupçonné
d’espionnage et se faire mettre le grappin dessus pour ça, la route est longue.
C’est pourquoi je ne porte jamais rien d’écrit sur moi. – Le Mulâtre se
frappe le front. – Tout est là-dedans.
    Et, bien sûr, poursuit-il, il y a d’autres demandes. Les
amis du rivage d’en face veulent des informations sur une plateforme flottante
qui pourrait être en préparation pour contrebattre le Trocadéro. Et aussi sur
les travaux des Anglais dans les redoutes de Sancti Petri, Gallineras Altas et
Torregorda.
    — Ça dépasse mes compétences, répond Fumagal.
    — À vous de voir, monsieur. Je ne fais que transmettre.
Ils sont également très intéressés par toute information concernant des cas de
miasmes putrides ou de fièvres dans Cadix… Je suppose qu’ils forment des vœux
pour que revienne la fièvre jaune avec des morts à tire-larigot.
    — C’est peu probable.
    Encore une fois résonne le rire moqueur du contrebandier.
    — Ils ne perdent pas espoir. Et puis les chaleurs de
l’été peuvent aider… En cas d’épidémie, les bateaux cesseraient de venir
approvisionner la ville et les choses pourraient prendre une sale tournure.
    — Je n’y crois pas. Les cas de l’an dernier ont
immunisé beaucoup de gens. Je doute que la solution vienne de ce côté.
    Des mouettes planent en lançant leurs cris stridents
au-dessus de la longue esplanade, attirées par les pêcheurs. Munis de cannes en
roseau, des habitants des maisons voisines pèchent dans la mer du haut des
meurtrières des canons sans que les sentinelles qui s’ennuient à parcourir le
rempart ne fassent rien pour les en empêcher. Sars, pageots et pagres
frétillent en l’air accrochés aux hameçons ou agonisent, asphyxiés, dans des
couffins de sparterie ou des baquets de bois, en éclaboussant les alentours.
Fusil sur l’épaule, les soldats viennent regarder si ça mord ou non, tout en
échangeant du tabac et du feu avec les pêcheurs. Malgré la guerre, Cadix
continue à vivre et laisser vivre.
    — Nos amis posent des questions sur la population,
continue le Mulâtre : dans quel état elle est, ce qu’elle dit. Si elle est
mécontente, et tout ça… J’imagine qu’ils espèrent toujours que des troubles
éclateront, mais c’est difficile. Ici, personne n’a faim. Et dans l’Île, où ça
va plus mal, avec les bombardements et le front tout près, les militaires gardent
la situation bien en main.
    Gregorio Fumagal ne fait pas de commentaires. Il se demande
parfois dans quel nuage irréel vivent ceux de l’autre côté de la baie. Attendre
des manifestations populaires qui bénéficient à la cause impériale, c’est ne
pas connaître Cadix. Les petites gens professent un patriotisme exalté, sont en
faveur de la guerre à outrance et soutiennent les libéraux des Cortès. Tous,
dans la ville, du lieutenant général au plus modeste commerçant, craignent le
peuple et le flattent. Personne n’a bougé le petit doigt quand on a traîné le
gouverneur Solano au supplice. Et, il y a quelques jours, quand un député

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