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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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certificats et des exemptions, ou
s’enrôlent dans les milices locales pour pouvoir se défiler. La récente
bataille de La Albuera, en Estrémadure, gagnée sur les Français au prix de
terribles pertes – un millier et demi d’Espagnols et trois mille cinq
cents Anglais morts ou blessés –, n’encourage pas les nouvelles recrues.
De sorte que les Cortès ont eu l’idée d’un stratagème pour résoudre le
problème : étendre la conscription à la deuxième et à la troisième
catégorie, afin que ces dernières, pour se libérer, dénoncent aux autorités les
tire-au-flanc de la première.
    — Et ça te concerne, cousin ? demande Cari Palma,
ironique, en s’éventant.
    — Pas du tout. Loin de moi l’intention de disputer à
qui que ce soit les lauriers et la gloire. Je suis exempté en qualité de fils
de veuve, et parce que j’ai payé les quinze mille réaux qui dispensent de
l’héroïque exercice des armes.
    — Pour le paiement, passe encore. Mais l’autre raison…
La tante Carmela est morte il y a huit ans !
    — Ça n’enlève rien au fait qu’elle est morte
veuve. – Un taste-vin dans une main et une bouteille de manzanilla dans
l’autre, le cousin Toño contemple à contre-jour la baisse du niveau de
celle-ci. – En outre, il n’y a qu’une seule campagne guerrière pour
laquelle je suis prêt à me porter volontaire : la reconquête pour la
patrie de Jerez et de Sanlúcar.
    — Je suis certaine que, dans ce cas, tu te battrais
comme un tigre, affirme, amusée, Lolita.
    — Ça, tu peux le dire, ma fille. À la baïonnette ou
tout ce qu’on voudra. Pied à pied et cave après cave… Sois-en sûre. Vous connaissez
l’histoire du roi Joseph qui va là-bas en visite et tombe dans une cuve ?…
Tous les Français se mettent à crier : « Jetez-lui une corde !
Jetez-lui une corde ! » Mais le roi Pepe sort la tête et
répond : « Noooon !… Jetez-moi du jambon et du fromage ! »
    Lolita rit, comme les autres, bien que le rire du cousin
Alfonso semble un peu contraint. La seule à rester sérieuse et sèche est la
mère. Une expression condescendante, lointaine, où transparaissent les cinq
gouttes de laudanum diluées trois fois par jour dans un verre d’eau de fleur
d’oranger, afin d’alléger les douleurs causées par le cancer du sein qui la
mine très lentement. Manuela Ugarte a soixante-deux ans et ne connaît pas le
mal qui l’affecte ; seule sa fille aînée est au courant, après avoir
imposé le silence au médecin qui l’a diagnostiqué. Elle sait que le contraire
ne l’avancerait à rien. L’évolution de la maladie s’annonce lente, sans fin
prévisible à court terme ; sa mère en ressent les effets petit à petit,
sous une forme encore tolérable, sans douleurs extrêmes. Hypocondriaque par
nature, elle a cessé de sortir bien avant que ne se déclare le mal ; elle
passe la journée au lit, dans sa chambre, et ne quitte celle-ci qu’un moment,
l’après-midi, appuyée au bras de sa fille aînée, pour s’asseoir et recevoir les
visites, l’été dans le patio, l’hiver dans le salon. Son existence se déroule
dans les étroites limites de ses caprices domestiques que personne ne discute,
de son extrait d’opium et de son ignorance de son état réel. Les ravages causés
par la maladie secrète peuvent être facilement imputés au poids des ans, à la
fatigue, à la stagnation, jour après jour, dans la routine insipide d’une vie
sans objet. Manuela Ugarte a cessé d’être une épouse depuis longtemps et n’a
été mère que le strict nécessaire, s’en remettant pour tout aux nourrices, aux
bonnes d’enfant et aux maîtresses d’école. Lolita ne se souvient pas d’avoir
jamais reçu d’elle un baiser spontané. Seul son frère aîné, le fils disparu,
mettait de la lumière dans ces yeux secs. Désinvolte, bon garçon, voyageur,
formé chez les correspondants de Buenos Aires, La Havane, Liverpool et
Bordeaux, Francisco de Paula Palma était destiné à diriger l’entreprise
familiale, en la renforçant par une avantageuse alliance matrimoniale avec la
fille d’un autre négociant nommé Carlos Power. L’invasion française l’a obligé
à reporter les noces. Enrôlé dès la première heure dans le bataillon des
Tirailleurs de Cadix, Francisco de Paula est mort le 16 juillet 1808 en
combattant dans les oliveraies d’Andujar, au cours de la bataille de Bailén.
    — Rappelez-vous ce qui s’est passé au

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