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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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du
groupe royaliste s’est opposé à la confiscation des domaines appartenant à la
noblesse, des hommes et des filles du port ont voulu lui régler son compte, au
point qu’il a fallu l’escorter jusqu’à un vaisseau de la Marine royale pour lui
sauver la vie. Une des raisons pour lesquelles il est interdit d’assister aux
sessions de San Felipe Neri vêtu de cape ou de capote est d’éviter que le
public ne porte des armes dessous.
    — Je pense à ce pauvre homme, commente le Mulâtre. Le
supplicié.
    Ils font une vingtaine de pas dans un silence lugubre, ces
paroles flottant dans l’air. Le contrebandier se balance sur ses longues
jambes, avec cette danse légère qui est sa façon de marcher. Près de lui, mais
gardant ses distances, Gregorio Fumagal avance à pas courts, prudents, comme à
son habitude. Chez lui, chaque mouvement semble correspondre à un acte délibéré
et conscient, jamais mécanique.
    — Je n’aime pas du tout, ajoute le Mulâtre, m’imaginer
une corde au cou, trois tours pour serrer la gorge, et la langue qui pend… Et
vous ?
    — Ne dites pas de bêtises.
    À la hauteur du couvent des Carmes Déchaux, ils croisent des
femmes qui passent en bande joyeuse sur l’esplanade avec des cruches d’eau.
L’une d’elles est très jeune. Gêné, Fumagal tâte ses cheveux pour vérifier
s’ils déteignent toujours. En retirant les doigts, il constate que oui. Du
coup, il se sent encore plus sale. Et grotesque.
    — Je crois que je ne continuerai plus longtemps, dit
soudain le Mulâtre. Je préfère sortir de la nasse avant qu’ils ne la relèvent
avec moi dedans… Tant va la cruche à l’eau…
    Il se tait de nouveau, fait quelques pas et observe Fumagal.
    — Vraiment, vous prenez ces risques par goût
personnel ?… Gratis ?
    Le taxidermiste continue de marcher, sans répondre. Quand il
ôte encore une fois son chapeau et essuie la sueur avec un mouchoir, il voit
que celui-ci reste trempé et sale. L’été qui vient va être dur, pense-t-il.
Dans tous les sens…
    — N’oubliez pas le singe.
    — Quoi ?
    — Mon macaque des Indes orientales.
    — Ah, oui. – Le contrebandier le dévisage, un peu
déconcerté. – Le singe.
    — Je l’enverrai chercher cette après-midi. Mort, comme
convenu… De quelle manière pensez-vous le tuer ?
    Le Mulâtre hausse les épaules.
    — Bah… Je ne sais pas… avec du poison, je suppose. Ou
en l’étouffant.
    — Je préfère la seconde solution, dit froidement le
taxidermiste. Certaines substances nuisent à la conservation du corps. Dans
tous les cas, faites attention à ne pas abîmer la peau.
    — Bien sûr, répond l’autre en suivant des yeux la
goutte de sueur noire qui coule sur le front de Fumagal.
     
    *
     
    Vendredi après-midi. Une toile tendue à la hauteur du
premier étage filtre la lumière dans le patio de la maison, où les grands pots
de fougères, les géraniums, les fauteuils à bascule et les chaises cannées
disposés près de la margelle de la citerne créent une atmosphère fraîche et
reposante. Lolita Palma boit une gorgée de liqueur de griotte, pose le verre
sur la nappe au crochet de la petite table, près du service à liqueurs, et se
penche sur sa mère pour arranger les coussins de son fauteuil. Sèche, vêtue de
noir, les cheveux pris dans une coiffe en dentelle et son rosaire sur le châle
qui couvre ses genoux, Manuela Ugarte, veuve de Tomás Palma, préside, comme
toutes les après-midi où elle est d’humeur à quitter son lit, la petite réunion
familiale. Dans la maison de la rue du Bastion, c’est l’heure des visites. Sont
présents Cari Palma, sœur de Lolita, avec son mari, Alfonso Solé. Également
Amparo Pimentel – une voisine veuve et âgée qui est comme de la
famille –, Curra Vilches et le cousin Toño qui passe tous les jours à
cette heure de même qu’à toutes les autres.
    — Vous n’allez pas me croire, dit ce dernier. Écoutez
la dernière…
    — Quand il s’agit de Cadix, je suis prête à tout
croire, réplique Curra Vilches.
    Avec son détachement habituel, le cousin Toño raconte son
histoire. Le récent appel militaire, qui prévoit l’incorporation dans l’Armée
de plusieurs centaines d’habitants constituant la première catégorie à
recruter – célibataires et mariés ou veufs sans enfants –, n’a pas
été suivi : à peine cinq sur dix se sont présentés. Les autres restent
calfeutrés dans leurs maisons, cherchant des

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