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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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persuadée de l’être, Cari
ne voit que par les yeux d’Alfonso et ne parle que par sa bouche. Lolita y est
habituée ; et elle en constate aujourd’hui les signes avec cette sensation
familière de vague ressentiment, qui n’est pas due au présent – les
histoires domestiques de sa sœur ne l’intéressent pas –, mais au
passé : enfance, jeunesse, solitude, mélancolie, vitres embuées par la
pluie. Arides après-midi d’études penchée sur les registres de commerce ou les cahiers
de comptabilité, apprenant l’anglais, l’arithmétique, le calcul commercial,
lisant des livres de voyages ou sur les mœurs étrangères, pendant que Cari,
toujours futile et superficielle, arrangeait ses boucles devant un miroir ou
jouait avec des maisons de poupées. Puis, le temps passant, sont venus
l’absence du frère, la responsabilité, le poids parfois insupportable de la
charge familiale, la mère toujours sèche et excessive. L’attitude acrimonieuse
à peine dissimulée – y compris au cours des visites hebdomadaires –
du beau-frère Alfonso et de Cari, la jolie princesse, la reine du bal. Toujours
renfrognée, son petit nez pincé parce que c’est Lolita qui, après avoir renoncé
à tant de choses, gère maintenant le patrimoine des Palma et travaille à le
faire fructifier en se gagnant le respect de Cadix. Sans permettre au
beau-frère de toucher au gâteau.
    La cloche de la grille sonne et Rosas, le majordome,
traverse le patio avant de réapparaître pour annoncer deux nouvelles visites.
Un instant plus tard, le capitaine Virués, en uniforme, chapeau galonné et
sabre sous le bras, se présente en compagnie de Jorge Fernández Cuchillero, le
créole qui séjourne à Cadix en qualité de délégué aux Cortès de la ville de
Buenos Aires : vingt-sept ans, blond, élégant, belle prestance, vêtu d’un
habit couleur cendre, cravate à deux pointes, à l’américaine, culotte et bottes
hautes. Une cicatrice au visage. C’est un garçon intelligent, aimable, un
habitué de la maison Palma, car il descend de commerçants d’origine asturienne
avec lesquels existe depuis des années une étroite relation, perturbée à
présent par les désordres dans le Rio de la Plata. Comme d’autres députés qui
représentent des provinces américaines insurgées, Fernández Cuchillero est dans
une position politique délicate, caractéristique des temps troublés que
traverse la monarchie espagnole : délégué au congrès de Cadix d’une Junte
qui se trouve en rébellion armée contre la métropole.
    — Il va falloir plus de manzanilla, suggère le cousin
Toño.
    Rosas débouche une nouvelle bouteille mise à rafraîchir dans
la citerne, et les arrivants s’installent en commentant le loyer excessif de
quarante réaux par jour que sa logeuse demande au député créole ; à tel
point qu’il vient de requérir la protection des Cortès.
    — On se croirait chez les brigands de la sierra Morena,
conclut-il.
    La conversation aborde ensuite les événements du Rio de la
Plata, les opérations contre les rebelles à partir du port militaire de
Montevideo, et la proposition anglaise de médiation pour pacifier les provinces
dissidentes d’Amérique. Selon ce que rapporte Fernández Cuchillero, on débat
ces jours-ci à San Felipe Neri de la possibilité de concéder à l’Angleterre, en
échange de son intervention diplomatique, huit mois de libre commerce avec les
ports américains. Mesure dont, avec d’autres députés d’Outre-mer, il se déclare
partisan.
    — C’est ridicule, argumente, acerbe, le beau-frère
Alfonso. Si l’on ouvre ces ports aux Britanniques en leur offrant la franchise,
ils n’en repartiront jamais… Ils ne sont pas fous !
    — En tout cas, l’affaire est bien avancée, confirme le
créole avec beaucoup de flegme. On dit même que, s’ils se voient refuser leur
proposition, ils pourraient se retirer du Portugal en abandonnant Badajoz et
les plans de la bataille qui se prépare pour battre le maréchal Soult…
    — C’est un vrai chantage.
    — Sans aucun doute, cher monsieur. Mais, à Londres, ils
appellent ça de la diplomatie.
    — Dans ce cas, Cadix doit se faire entendre. Une
pareille mesure supposerait la fin de notre commerce avec l’Amérique. La ruine
de la ville.
    Lolita joue avec son éventail – noir, style chinois,
paysage avec fleurs d’oranger – qu’elle tient fermé contre elle. Cela
l’ennuie d’être pour une fois d’accord avec

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