Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
Vom Netzwerk:
dernière mode ou un uniforme de héros. Elle a
été élevée par son père pour vivre en pleine connaissance de ce qu’elle
est ; et cela lui permet d’adopter toujours, devant n’importe quel hommage
masculin, une attitude polie mais un peu absente. Une indifférence affectée qui
masque sa méfiance. Comme le duelliste accompli qui, sans démonstrations
inutiles, se place de profil face à son adversaire pour diminuer le risque
d’être touché par le tir de celui-ci.
    — On dit que tu as perdu un bateau, dit Alfonso Solé.
    Lolita regarde son beau-frère, mal à l’aise. Quel personnage
vaniteux, pense-t-elle. Indisposé par le tour qu’a pris la conversation, il
veut maintenant se rattraper, avec une rancœur quasi infantile. Lourd comme
seul il peut l’être. Chaque jour qui passe, elle remercie davantage son père –
qu’il repose en paix – de ne pas l’avoir accepté comme associé.
    — Oui. Et le fret avec.
    Ces quelques mots résument tout. Le mauvais coup du sort. Il
y a quatre jours, la Tlaxcala, une goélette en provenance de Veracruz
avec 1200 lingots de cuivre, 300 caisses de chaussures et
550 sacs de sucre, valeur garantie par la maison Palma, a été capturée par
les Français au moment d’entrer dans la baie après un voyage de soixante et un
jours. L’auteur de l’arraisonnement est la felouque corsaire qui opère habituellement
depuis le golfe de Rota : des pêcheurs l’ont vue en train d’amariner la
goélette à deux milles à l’ouest du cap Candor.
    — Heureusement, les polices d’assurance ont baissé
depuis la paix avec l’Angleterre, ajoute le beau-frère, perfide. Et puis tu te
referas vite, avec ton corsaire.
    Lolita, qui en cet instant regarde Lorenzo Virués, voit
passer une ombre sur le visage du militaire quand celui-ci entend le mot corsaire. Après leur conversation lors de la réception de l’ambassadeur anglais,
aucun des deux n’a prononcé de nouveau le nom de Pepe Lobo ; mais elle
suppose que Virués est au courant des aventures du marin. Depuis son armement
par les firmes Sánchez Guinea et Palma, le cotre corsaire a été plusieurs fois
mentionné dans les gazettes gaditanes. Parmi ses premières prises figuraient
une polacre chargée de 3 000 fanègues de riz et l’heureuse capture
d’un brigantin venant de Porto Rico avec une cargaison de cacao, de sucre et de
bois de campêche, suffisante à elle seule pour amortir l’investissement initial.
Les dernières nouvelles étaient données par La Vigie de Cadix, voici
exactement une semaine : Arrivée du mistic français avec l’équipage de
prise du corsaire Culebra. Il faisait route de Barbate à Chipiona avec
de l’eau-de-vie, du blé, des cuirs et du courrier… Ce que n’a pas dit le
journal, c’est que le mistic français, armé de six canons, a résisté à sa
capture, qu’en arrivant au port il transportait deux matelots de la Culebra gravement mutilés, et que deux autres hommes de Pepe Lobo reposent au fond de
la mer.
     
    *
     
    L’énorme brigantine claque en oscillant dans la houle avec
des secousses dont la force ébranle le mât et la coque noire du cotre. À
l’arrière, près des deux timoniers qui manœuvrent la barre en fer doublée de
cuir, Pepe Lobo maintient le navire en panne, face au vent qui fait faseyer le
foc largué et se balancer la longue bôme au-dessus de sa tête. Il sent venir
jusqu’à lui l’odeur des boutefeux qui fument à tribord, près des quatre canons
de 6 livres qui, sous la supervision du maître d’équipage Brasero, visent
la tartane immobilisée à portée de pistolet, avec ses deux voiles triangulaires
qui faseyent et les écoutes larguées. Lobo sait que, au stade où l’on en est,
les canons pointés sur la coque de la proie qu’ils peuvent presque toucher sont
surtout là pour imposer le respect. Il serait impossible de tirer sans
atteindre du même coup ses propres hommes : l’équipe d’abordage
vociférante, armée de piques, de haches, de pistolets et de sabres et commandée
par Ricardo Maraña, qui repousse vers la poupe l’équipage de la tartane ;
une douzaine et demie d’hommes désorientés, dont le groupe compact recule sur
le pont devant la menace des assaillants qui viennent de sauter à bord. Sur
tribord, sous les porte-haubans du grand mât, le bordage et une partie du
plat-bord ont volé en éclats, indiquant l’endroit où, après la chasse et la
manœuvre d’abordage – la tartane tentait de

Weitere Kostenlose Bücher