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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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beau-frère Alfonso acquiesce, bien qu’à contrecœur. À
voir son air vexé, on dirait que Lolita lui vole son argumentation. Et son
argent.
    — La situation est intolérable. C’est pour cela qu’on
ne peut pas faire la moindre concession, ni aux Anglais, ni à personne.
    — Au contraire, affirme Fernández Cuchillero, défendant
ses compatriotes. Il faut négocier avant qu’il ne soit trop tard.
    — Jorge a raison, répond Lolita. Un commerçant encaisse
ses revers quand il peut se refaire par d’autres opérations… Si l’Amérique
devient indépendante et si ses ports tombent aux mains des Anglais et des
Américains du Nord, nous n’aurons même pas cette consolation. Les pertes seront
irréparables.
    — C’est bien pourquoi il ne faut pas céder d’un pouce,
proclame le beau-frère Alfonso. Rappelez-vous que le Chili reste fidèle à la
Couronne. Comme le Mexique, malgré la rébellion de ce prêtre fou, et espagnol
pour en rajouter dans l’infamie… Et à Montevideo, le général Elfo agit comme il
faut. Avec une main de fer.
    Ces derniers mots sont accompagnés d’un coup d’éventail
approbateur de Cari Palma. Lolita hoche la tête pour exprimer son désaccord.
    — Voilà justement ce qui m’inquiète. En Amérique, la
main de fer ne conduit nulle part. – Elle pose affectueusement une main
sur un bras de Fernández Cuchillero. – Notre ami en est un bon exemple… Il
ne cache pas qu’il est partisan de réformes radicales sur sa terre, mais il
reste aux Cortès. Il sait qu’il y a là une occasion de combattre l’arbitraire
et le despotisme qui ont tout empoisonné.
    — C’est bien ça, confirme le créole. Une chance
historique, et mon absence au moment de la saisir serait impardonnable… Celui
qui vous le dit est un homme qui a combattu à Buenos Aires aux côtés du général
Liniers sous les couleurs de l’Espagne.
    Lolita connaît cet épisode et sait que le délégué du Rio de
la Plata est modeste en se limitant à ce rappel. En 1806 et 1807, durant les
invasions anglaises du Rio de la Plata, Fernández Cuchillero s’est battu contre
les troupes britanniques, comme d’autres jeunes patriciens, jusqu’à la
capitulation de l’ennemi, dans une dure et double campagne qui a coûté à la
Grande-Bretagne plus de trois mille pertes, entre morts et blessés. En témoigne
la cicatrice sur sa joue droite, souvenir d’une balle reçue lors de la défense
de la maison O’Gorman, Calle de la Paz à Buenos Aires.
    — Quand ce sera fini, il faudra affronter un monde
nouveau, dit Lolita. Peut-être plus juste, ça je n’en sais rien. Mais
différent… Que nous perdions ou non l’Amérique, que Cadix soit sauvé ou ruiné,
avec les Anglais ou sans eux, notre lien avec l’Amérique, ce sera des hommes
comme Jorge.
    — Et le commerce, ajoute rageusement le beau-frère
Alfonso.
    Lolita sourit : un sourire à fois triste et ironique.
    — Naturellement. Le commerce.
    Les yeux du capitaine Virués la fixent toujours, et elle ne
peut s’empêcher de se sentir flattée. Le militaire est bel homme ; et la
veste bleue à revers et col violets lui donne une allure distinguée. Ce que ressent
Lolita est intime et agréable : son orgueil de femme s’en trouve vaguement
caressé, sans que cela aille plus loin, ni qu’elle soit disposée à en tolérer
davantage. Ce n’est pas la première fois, bien entendu, qu’un homme la regarde
de la sorte. Il y eut un temps où on la trouvait jolie et, à son âge, elle peut
toujours se dire séduisante : la peau reste blanche et douce ; les
yeux sombres et vifs ; les formes agréables. Mains fines, pieds petits, de
bonne race. Même si elle s’habille sobrement, toujours de tissus sombres,
depuis la mort de son père – teintes bénéfiques pour son apparence à
l’heure des négociations commerciales –, elle le fait avec le goût d’une
femme de bonne éducation, robes et chaussures à la mode. Elle figure toujours
dans la catégorie que l’on qualifie à Cadix de demoiselle avec possibilités, encore que le miroir lui rappelle que lesdites possibilités diminuent de
jour en jour. Mais elle est aussi consciente de constituer un parti alléchant
pour les chasseurs de fortunes. Comme le dit le cousin Toño, plus d’un loup a
tourné autour de la brebis ; et, dans ce domaine, Lolita ne se fait pas
d’illusions. Elle n’est pas de celles qui défaillent devant un port élégant,
des mains fines, un habit à la

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