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Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997

Titel: Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michèle Cotta
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Michel Rocard.
    Il nous reçoit dans le petit bureau qui jouxte la salle à manger de l’hôtel Matignon, non sans avoir auparavant salué les techniciens comme de vieux amis – qu’ils ne sont pas. Il nous parle une heure durant de François Mitterrand, de la répartition du travail entre eux deux, de l’estime qu’il a pour le Président, des grands objectifs qu’ils partagent : réduire les inégalités, instaurer la justice sociale. Avec, cependant, quelques bémols, notamment quand nous lui demandons pourquoi il n’est jamais devenu un intime de Mitterrand. Pourquoi, par exemple, n’a-t-il jamais rejoint le président de la République à Solutré ? À entendre cette question il a pratiquement un haut-le-cœur. Visiblement, l’idée de gravir la pente de Solutré en chemise rose, comme Jack Lang le fait chaque année, lui donne la nausée. Il répond d’une phrase compliquée, à la Rocard, que Mitterrand a une réelle fidélité en amitié, mais qu’il la distribue chichement. Il ne fait pas partie des heureux élus.
    Arrivé au terme de son exposé, il s’arrête, nous remercie, demande si la caméra tourne encore. Je lui réponds que non, sachant bien que tout cameraman qui se respecte continue de filmer dans ce genre de situation.
    Et là, d’un coup, quel torrent ! Comme je ne prends pas de notes, je ne retiens de cette conversation finale, presque entre parenthèses, qu’une charge féroce contre Mitterrand qui l’exclut de certains domaines, qui ne le laisse agir qu’au compte-gouttes, qui exerce sur lui une contrainte de tous les instants, n’hésitant pas de temps à autre à se livrer sur lui à une véritable campagne d’intidimidation, en l’inondant de coups de téléphone – c’est le cas en ce moment, précise-t-il – sur un point précis à propos duquel lui, Rocard, finit par céder.
    Rocard n’a plus son sourire de boy-scout. L’irritation, le ras-le-bol rendent son débit plus saccadé que jamais. Je ne l’ai jamais vu comme cela. Je me demandais l’autre jour pourquoi Mitterrand ne le « démissionnait » pas. Je me demande aujourd’hui pourquoi il reste. Pour les mêmes raisons que Mitterrand le garde, sans doute : il existe, il a une image presque intacte après plus de deux ans passés à Matignon, malgré la guérilla permanente que lui livrent – ou plus exactement que lui livraient avant la crise du Golfe – des ministres comme Jack Lang, Roland Dumas ou Lionel Jospin. Tous portent le même jugement sur Michel Rocard, comme s’il leur avait été soufflé par Mitterrand, et c’est sans doute le cas : selon eux, Rocard appelle son gouvernement à la rigueur, à l’effort, aux économies. Il le fait trop souvent pour un Premier ministre socialiste, quitte, accusent-ils, à renoncer aux objectifs sociaux.
    Il reste qu’avec son personnage réellement sympathique, Rocard est plus indispensable que le Président ne le pense.
    De là à lâcher, devant des techniciens qu’il ne connaît pas et des journalistes qu’il ne connaît pas très bien, une telle salve contre Mitterrand ! Nous en restons sans voix. Moi, j’ai l’impression de faire du voyeurisme politique. C’en est presque gênant. J’espère qu’il ne nous reprochera pas, lorsqu’il repensera à cette scène, de s’être ainsi laissé aller devant nous. Ce serait le comble : le moins qu’on puisse dire est qu’on ne l’a pas sollicité !
    J’allais oublier le ton sur lequel il s’est épanché : amer, ironique, aussi violent qu’il peut l’être, aigre, et aussi, je dois le dire, fatigué.
    Je n’ai aucun moyen de savoir, ce soir, ce qu’il en est de cette bande qui vaut de l’or, dans les mains de qui elle est, ce que deviendrala fin de l’enregistrement qui n’était pas destinée à la diffusion. Peut-être, dans des années encore, moisira-t-elle dans les archives de TF1 ?
    Rocard est-il arrivé en fin de parcours ? C’est ce que croient tout son cabinet et ses proches. Et aussi ceux qui ne le sont pas, comme Jean Poperen qui me l’a confié aujourd’hui. Quant à ceux qui ne le croient pas, ils le souhaitent : comme Laurent Fabius, à l’extérieur du gouvernement, ou même Pierre Joxe, en son sein.

    20 mars
    Avant-hier, conférence de presse de Philippe Marchand qui a remplacé Joxe à l’Intérieur pendant la guerre du Golfe. Antoine Gaudino a été révoqué de ses fonctions dans la police nationale : c’est le ministre de l’Intérieur

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