Camarades de front
qu’ils portaient sur le ventre, contrairement au règlement. Le général remonta son monocle et donna un coup de pied à une Bible qui traînait par terre. Un factionnaire piaula :
– Infirmerie 7. Rien à signaler !
– Porc ! répondit Boule de suif en poussant son parapluie dans l’estomac du factionnaire.
– Oui, madame, admit le factionnaire à qui la vue d’un général faisait tourner la tête.
L’Oberfeldwebel Braun sortit en courant de sa cage, derrière le couloir des cellules, se mit au garde-à-vous à la prussienne et dégoisa un rapport insignifiant qu’il n’arriva pas à terminer.
– A terre, Oberfeldwebel !
Braun tourna la tête sans comprendre. Il y avait au moins dix ans qu’il s’était déshabitué de ce genre d’exercice. Le général fixait Braun à travers son monocle. Boule de suif avança ses doubles mentons.
– Tombe, cochon !
Comme une montagne qui s’écroule d’un coup de dynamite, Braun s« e jeta par terre et dut exécuter l’exercice réglementaire avant d’en être quitte avec le major.
– Cette bande a besoin de discipline ! tonna le général d’artillerie en crachant sur la photo d’un chef de guerre qu’on appelait Ludendorff.
Il s’occupa énergiquement de tout le personnel de l’infirmerie, exigea la mise en liberté de Petit-Frère, parla du front de l’Est et termina par ces mots terrifiants :
– Toute cette cochonnerie sera rapportée au Führer. Je vais expédier en vitesse votre proposition de mutation dans une unité combattante.
Un faible « Oui, mon général » se fit entendre. A Petit-Frère il tonna : – De toi on parlera plus tard ! – Mais il aperçut au même instant l’insigne des régiments disciplinaires et rougit. Il respira profondément : Le front de l’Est t’attend ! – Il fit un signe à Boule de suif et bourra Petit-Frère qui avait l’air de plus en plus bête. – Au moindre signe de fuite, cette dame se servira de son arme ! – Puis ils s’en allèrent.
Petit-Frère cracha par terre et dit : – Viens, Emma, on les met.
Elle le prit par la main et l’emmena comme un petit garçon. On le coucha, mais quand la nuit fut tranquille, il s’enivra avec le légionnaire et ils chuchotèrent pendant de longues minutes. De temps en temps nous saisissions quelques mots : « Gendarmes » et « Gorille
Ce fut un samedi, dans la soirée, qu’ils décidèrent d’aller trouver « le Gorille ». Ils étaient déjà en pleine forme, et cette forme s’améliora encore grâce à la bouteille de vodka que le légionnaire avait emportée. Braun se déshabillait et parut surpris de cette visite imprévue. Il mit quelque temps à reconnaître Petit-Frère qui était particulièrement amical, le chatouillant avec son couteau, lui pinçant la joue, et lui promettant de lui trancher la gorge. L’Oberfeldwebel Braun ne réussit qu’à pousser un faible cri, à moitié étouffé par les doigts d’acier du légionnaire qui lui serraient la gorge.
– Je veux le tuer moi-même, protesta Petit-Frère quand Braun devint violet.
A cet instant, de la chambre à coucher, sortit M me Braun qui était membre actif des femmes national-socialistes. Avant de bien comprendre de quoi il s’agissait, elle commanda : – La paix ! Et tout de suite !
Dans la pénombre, on pouvait voir les papillotes de ses cheveux et sa chemise de nuit qui avait appartenu comme tout le reste à la propriétaire de l’appartement, une veuve juive morte à Neuengamme. Cet appartement était un vieux rêve de M me Braun qu’elle avait enfin pu réaliser un jour. La veuve et ses trois enfants avaient été emmenés par les S. S. sans avoir pu emporter autre chose que ce qu’ils avaient sur eux à trois heures du matin. M me Braun était là en personne, bottée et vêtue de cuir. Dans l’escalier, le petit de trois ans pleura et dit qu’il avait froid sous la pluie. Un S. S. le gifla. M me Braun cracha à la figure de la mère et lui donna un coup de pied sur le tibia : – Toi et tes gosses, on vous mettra au pas, dans les camps.
Puis elle monta et se mit en devoir de réarranger l’appartement à son goût, avant l’arrivée de son mari.
La juive et les deux plus jeunes furent envoyés à la chambre à gaz, l’aînée, une fille de quinze ans, finit dans un bordel de camp.
Tout cela, Petit-Frère l’avait appris par des voies mystérieuses que seuls connaissent les gens en marge de ces milieux. Il
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