Camarades de front
avoir, subi le traitement spécial du dispensaire N° 7 de la David-strasse. L’air de Hambourg devenant vraiment malsain, Braun s’était fait muter à Berlin, mais à la déclaration de guerre on le vit à Hambourg à la tête d’un commando spécial.
Pendant un temps très court, Paris avait connu ses activités, mais il lui vint la terreur du maquis français et il s’était fait remuter à Hambourg. Il adorait frapper un soldat à mort. Le cri que poussait la victime quand il lui frappait l’entrejambes était pour lui la plus délicieuse des musiques, et arrivant sur Petit-Frère à la tête de ses brutes, il ressemblait à un démon alléché par le sang. Sa matraque tapotait ses bottes, une matraque qui, disait-il, avait tué deux soldats d’un seul coup. Les hommes l’appelaient « le Gorille », un surnom qui le mettait en fureur. Le cri de Petit-Frère résonna comme un tonnerre : – Gorille ! Gros tas, viens te faire massacrer.
– Sus ! On doit le prendre vivant !
Sept gendarmes se précipitèrent sur le géant qui les attendait planté comme un roc au beau milieu de la chaussée. Les matraques volèrent. On entendit des bruits sourds, un gendarme râla, Petit-Frère bramait comme un cerf, les commandos de Braun galopaient dans la rue.
Le tout ne dura guère que cinq minutes. Ficelé comme un saucisson, Petit-Frère fut jeté dans la voiture de la feldgendarmerie.
– Allah et Akbar ! hurla le légionnaire et il chargea, envoyant son poing armé dans la nuque d’un des gendarmes. Un couteau lança un éclair, un coup de feu claqua. Le long des maisons se devinaient des ombres qui fuyaient à la vue des gendarmes haïs. Le légionnaire bondit sur le dos de l’un d’eux et lui serra la gorge jusqu’à ce qu’il s’effondrât. Stein riait comme un fou ; d’un revers de main il en abattit un qui tirait son revolver.
Des sifflets stridents éclatèrent tout à coup. Une femme poussa un cri d’alarme : – Filez les gars ! voilà le commando d’attaque !
De la Reepersbahn hurlait une sirène, des lumières vertes s’allumaient, on entendait des bottes ferrées qui dégringolaient la rue. Sans demander notre reste et traînant le corps inanimé de Petit-Frère, nous détalâmes vers la brasserie Saint-Paul dont un gardien nous ouvrit une porte sombre. On entendit crépiter une mitrailleuse.
Petit-Frère était de beaucoup le plus mal en point, son visage zébré de deux grandes balafres qui saignaient abondamment. On alla chercher un infirmier de l’hôpital qui recousit notre camarade sans trop de précautions. Le malheureux jurait de douleur, mais ses mains encore ficelées l’empêchaient heureusement de se défendre. Après un temps assez long et par des chemins détournés, le même infirmier nous fit réintégrer l’hôpital.
Trois jours plus tard, dix hommes casqués de la feldgendarmerie sous la conduite de Braun en personne firent irruption dans les salles et triomphèrent en reconnaissant Petit-Frère. Ils se jetèrent sur lui et l’emmenèrent, mais nous, on ne nous trouva jamais.
Deux jours passèrent. A notre grande stupeur on vit alors Boule de suif quitter l’hôpital juste au moment où il y avait le plus de travail. Elle était en grande toilette : chapeau rouge, veste jaune et parapluie vert, ce qui la faisait ressembler au grand pavois brésilien. Tout l’hôpital se mit aux fenêtres. L’infirmière-chef filait à toute vitesse le long du Zirkusweg et disparut dans l’escalier de la gare menant à la station de Saint-Paul. Elle revint à 17 h 15 tenant Petit-Frère par la main. Ce qui s’était passé, personne ne l’aurait jamais su si un feldgendarme n’en avait raconté la fantastique histoire.
Boule de suif avait de hautes relations, parmi lesquelles un général en personne. On l’avait vue entrer comme une trombe à la feldgendarmerie, suivie du général d’artillerie, de trois officiers d’état-major et d’un S. A. Gruppenführer. Ce dernier ne savait dire que « Ah oui ? » à tout.
Dès la porte le général trompetta : – Garde à vous ! La discipline laisse à désirer ici ! – Il répéta ces mots trois fois, à trente secondes d’intervalle. Herbert Freiherr von Senne, artilleur comme l’était le général, demanda à voir le Oberfeldwebel Braun, Hans. – Il prononça « Hans » avec la sécheresse d’un couperet. Les deux autres officiers tapaient tout joyeux sur les gaines de leurs revolvers
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