Camarades de front
train, le fantassin Otto murmurait : – Lotte,, ma chérie, nous allons nous revoir bientôt. – A un camarade, il confia que Lotte était enceinte.
Mais l’enfant de Lotte ne vit jamais le jour. Sa mère avait dit la vérité dans un pays où la vérité équivalait à un arrêt de mort.
Le train filait à travers l’Allemagne. Il s’arrêtait quelques instants dans des gares pleines à craquer, engloutissant de nouveaux flots de soldats harassés. On grimpait par-dessus des montagnes de sacs, de cantines, de masques à gaz, de carabines, de mitraillettes, de capotes roulées et de corps affalés vêtus de vert, de bleu, de noir, de brun. Toutes les armes. Des soldats de la marine âgés de seize à vingt ans avec l’insigne des sous-marins sur la manche ; des S. S. fanatiques aux yeux fixes, élevés dans ce que l’on appelait « les maisons de l’ordre » de l’Etat dictatorial ; des policiers d’un certain âge en vert venimeux, en route vers une division de la police de campagne et destinés à être abattus par les partisans ennemis qui les guettaient comme des loups. Il y avait des soldats des divisions blindées, dans leurs noirs uniformes sales, puant l’essence et l’huile ; des cavaliers gros comme des paysans avec des pattes d’épaules d’un jaune criard ; de minces alpins, l’edelweiss de plomb sur la manche ; des artilleurs aux rares décorations ; des sapeurs aux visages las d’une indicible fatigue après des travaux inhumains, et tristes comme leurs épaulettes noires.
Il y avait aussi des artilleurs de la marine, gros et gras, contents d’appartenir à une arme éloignée du front, le long des côtes ; des agents de liaison aux yeux intelligents, qui émaillaient leurs propos de mots étrangers pour montrer qu’ils savaient les langues. Mais la plupart des hommes étaient des soldats de l’infanterie en uniforme si râpés qu’ils démentaient ouvertement l’appellation glorieuse de « reine des armées ».
Dans tous les coins on buvait, on jouait. Un groupe chuchotait autour d’un obergefreiter infirmier.
– La jaunisse, rien à faire, disait l’infirmier, la vérole et la chtouille, non plus… Pour un peu ils vous couperaient le pot de chambre quand on arrive avec ce genre de choses. – Il jeta autour de lui un regard prudent mais il ne semblait pas y avoir d’auditeur dangereux dans le voisinage. Il reprit en chuchotant : – La typhoïde, les gars, un vrai bon typhus, ça c’est quelque chose, ça en dégotte ! Une-température qui fait péter le thermomètre. Un presque mort, ils n’y résistent pas… Et je te passe la main dans les cheveux, et je te caresse la joue… Tu crois pas que c’est vrai, tellement ils sont bons pour toi parce qu’ils pensent que tu montes au ciel. Et puis ça dure longtemps.
– Mais comment on attrape la typhoïde ? demanda un petit fantassin fluet.
Quelques petits paquets changèrent de main et Pinfirmier mit de l’argent dans sa poche. Il sourit confidentiellement après un autre regard circulaire.
– Ce qui est dans les paquets, vous le mettez dans le café, et puis un bon coup de vodka par-dessus. Quinze jours plus tard, maximum, vous êtes dans un bon lit, et fini la guerre pour six mois.
– On peut en claquer ? demanda un cavalier sceptique.
– As-tu jamais rien eu sans risques, crétin ? dit un aviateur en élégant uniforme gris-bleu, la poitrine barrée de décorations. – Il avait à peine vingt ans, mais la guerre l’avait fait vieillir de dix. Les héros volants d’Herman Gœring en avaient assez, eux aussi.
La traversée de Berlin se fit de nuit. Il y avait alerte. Partout, le long du train bondé, on se battait pour aller aux cabinets ; des remarques bêtes (s’échangeaient dans l’atmosphère pestilentielle.
Le petit légionnaire, serré entre Petit-Frère et (moi, avait en face de lui Ewald, verdâtre, encadré de Stein et de Bauer. Du haut du filet, le Prussien de l’Est faisait des plaisanteries et des imitations, très drôles.
– Raconte-nous ce que le Führer dit de la situation ! cria Stein.
Le Prussien leva son masque à gaz en trompette, tira une mèche sur son front et avança la lèvre inférieure. Il ressemblait à une affreuse caricature d’Hitler, mais la voix était étonnante.
– Femmes allemandes, hommes allemands ! Nous n’avons jamais été aussi près de la victoire ! Nos lignes en forme de poche rendaient les opérations difficiles. Elles
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