Camarades de front
comme seul un soldat, un soldat qui a servi de longues années, sait le faire.
Barth lui retira son calot et constata brièvement :
– Cheveux d’une longueur non réglementaire. A terre, bâtard d’Afrique ! Et celui-là ? continua-t-il en mettant la main sur mon épaule.
– Porte-drapeau Sven Hassel, Herr Hauptfeldwebel, se présente à son retour après avoir séjourné à l’hôpital de réserve 19, Hambourg.
Il tira sur mon baudrier : – Trop lâche, équipement non réglementaire. A terre !
Il en fut de même pour Stein. Vint le tour de Petit-Frère qui était aussi grand et large que le Hauptfeldwebel Barth, mais autrement musclé. Sa large poitrine bombait au-des9us du ventre plat ; son visage, au front bas, s’éclairait de petits yeux vifs brillants comme ceux d’un renard : son nez aplati, abîmé par les pugilats, sa grosse bouche bête et tordue lui donnaient l’air d’un primate. Le Gros le regarda avec stupéfaction.
– Qu’est-ce que c’est que cette gueule ? Jamais rien vu d’aussi laid !
– Moi non plus ! répondit Petit-Frère content, et souriant la tête penchée. D’ailleurs on m’appelle Petit-Frère, mais ce n’est pas mon nom. Ma mère voulait que je m’appelle Wolfgang, comme un certain Mozart, au cas où je serais musicien. Et puis je m’appelle aussi Helmuth à cause du generalfeld-marschall von Hindenburg. De mon vieux, ce pochard, j’ai reçu le nom de Creutzfeldt. En plus
j’ai des hémorroïdes et je transpire des pieds. Et vous, vous êtes le Hauptfeldwebel Barth. Et maintenant je me jette tout de suite à terre, pour que vous n’ayez pas la peine de me le dire. C’est mauvais pour la gorge de crier.
Et Petit-Frère s’étala à côté de nous.
Dieu seul savait ce qui se passait dans la cervelle du Gros que ce discours avait paralysé un instant. Personne n’avait jamais osé lui répondre de cette façon. Il se mit à crier et à jurer comme tout bon sous-officier que la colère est sur le point de faire éclater. Ça donnait toujours lie temps de réfléchir et il hurla longtemps. Petit-Frère le regardait avec intérêt.
– Dans la boue, cochon ! cria-t-il. Debout ! cours ! marche ! saute ! rampe ! tourne cinquante fois ! Plus vite, feignant !
La plaine retentissait d’échos sauvages. Petit-Frère riait, courait, sautait, rampait, riant toujours. Le Gros en perdit le souffle.
– Quand je vois votre grade, siffla-t-il en crachant, ça me fait froid dans le dos. A mon avis, tout individu qui a atteint le grade d’obergefreiter a suffisamment vécu ! – Il cracha de nouveau en regardant Petit-Frère, raide devant lui et couvert de boue des pieds à la tête.
Leurs yeux se rencontrèrent et on peut supposer qu’ils en disaient long, mais Petit-Frère rompit le silence.
– Obergefreiter Petit… – il se dépêcha de rectifier – Wolfgang Creutzfeldt prie Herr Hauptfeldwebel de lui accorder une permission. – il sourit – trois semaines de permission de mariage. Ma fiancée s’appelle Emma, Herr Hauptfeldwebel.
Le Gros en perdit le souffle. Sa lèvre inférieure tomba comme un vantail sorti de ses gonds.
– Vous demandez quoi ?
– Une permission, dit Petit-Frère souriant. Je dois me marier, Herr Hauptfeldwebel.
Toute couleur disparut du visage du Gros. Il se mit à vaciller ; ses yeux s’agrandirent et devinrent fixes. Ce devait être la fin… la terre allait s’ouvrir… ce ne pouvait être vrai qu’un individu qui en bavait depuis trente minutes osât lui demander une permission avec ce sourire bête ! Un type qui depuis quatre mois se prélassait à l’hôpital… Un type qui venait d’échapper d’un cheveu au tribunal d’exception ! Le Gros rêvait. C’était un cauchemar… Mais non ! c’était bien vrai… L’ours se tenait là en souriant, un sourire infâme, imbécile, à vous rendre fou ! Et devant lui… le Hauptfeldwebel Herbert Barth que l’on appelait « Herbert le sabre » à l’école des sous-officiers de Berlin, le plus rude sous-officier de toutes les troupes blindées… !
Il se mit à trembler de tout son corps, à blêmir, à rougir. Sa bouche s’ouvrit pour un bruit animal sans doute hérité des Cimbres mettant à sac la province de Noricum… Mais il s’arrêta aussi vite. Le Gros venait de remarquer que Petit-Frère souriait toujours, et, comme tous les vieux hauptfeldwebels, il savait qu’on peut embêter un vieil obergefreiter aussi longtemps
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