Camarades de front
qu’il ne se met pas à sourire. A cet instant, il devient dangereux… C’est le début de la folie. Une de ces folies que, seule, une salve bien dirigée peut arrêter, mais auparavant, lui, le Gros, aurait été réduit en bouillie et répandu à travers la plaine.
Il fixa Petit-Frère et dit d’une voix éteinte :
– File ! Filez tous ! Et que je retrouve vos noms sur la liste des morts. Toi, ne reparais plus jamais devant mes yeux. – Il tourna les talons et disparut au pas de course.
Nous rejoignîmes les positions avec les gens du ravitaillement et apprîmes que le régiment de blindés, manquant de chars comme d’habitude, les 1 er et 3 e bataillons étaient devenus bataillons d’infanterie. Porta faillit mourir de rire en voyant arriver Petit-Frère.
– Te voilà rentré au pays, grosse vache ! Ce que ça fait plaisir de te voir ! Ton cul a-t-il fondu après l’opération ? C’est vrai que tu n’en as qu’une moitié ?
– Quand j’aurai mis la main sur toi, tu n’en auras plus du tout !
Porta évita de justesse une douille vide de grenade, pendant que Alte, qui se dandinait comme toujours, nous recevait à sa manière, brève mais chaleureuse.
– Müller n’est plus. Ivan l’a chipé a cours d’une attaque et nous l’avons trouvé trois jours plus tard… vous devinez comment.
Le Prussien de l’Est leva un sourcil : – Tendu entre deux bouleaux ?
– Oui. Hugo Stege est en permission, à Berlin, alors qu’il devait aller à Dortmund. Histoire de fille, a-t-il écrit dans sa dernière lettre.
– Sur quelle putain a-t-il pu tomber ? grogna Petit-Frère.
Personne ne répondit. Nous filions, pliés en deux, le long du boyau qui menait en première ligne, lorsqu’un projectile arriva en sifflant. Un sous-officier poussa un cri et s’effondra. En plein entre les deux yeux, sous le casque.
– Tireur sibérien, dit Porta.
On hissa le corps au-dessus du parapet et il roula de l’autre côté dans un nuage de poussière.
– Amen, dit Porta en continuant, son chemin.
Vers le soir, comme nous étions dans l’abri à jouer aux cartes, le lieutenant Ohlsen entra brusquement. Il avait pris la compagnie après la mort du lieutenant Harter, tombé il y avait peu de temps. Ohlsen s’assit sur un container de masques à gaz et nous regarda alternativement. Porta lui tendit une gourde de cognac. Il mit le pouce dans le goulot, le fit tourner et but comme nous le faisions, puis il se racla la gorge et s’essuya du revers de la main.
– Beier, dit-il en se tournant vers Alte, vous et le groupe devez faire une patrouille cette nuit. Mais vous pouvez désigner quelqu’un d’autre pour prendre le commandement du groupe. Le régiment a donné l’ordre de faire des prisonniers.
– Sainte Mère de Kazan ! cria Petit-Frère avec rage, dès qu’on est un peu tranquille, le cul se met à leur démanger à ces messieurs de la haute !
Le lieutenant éclata de rire.
– Qui a dit que vous seriez de la partie, Petit-Frère ?
– Mon lieutenant, il faut bien ! Je fais la bonne d’enfants pour ces héros imbéciles. Voyez Julius Heide !
Alte commençait déjà à se harnacher, quand le petit légionnaire se leva.
– Alte, reste ici. Je conduirai le groupe. Tu as des enfants et on aura besoin de gens comme toi après la guerre. – Il nous montra de la main : – Nous autres, on est des merdouilles qui ne représentons rien.
– Non, nomade, dit Alte. Je pars ; ce n’est pas le groupe i que le lieutenant va désigner, mais le 2 et. ce sera moi qui le conduirai. Le porte-drapeau Paust commandera la section pendant ce temps-là.
– Ciel ! gémit le Prussien de l’Est en attrapant ses vêtements de cuir, quelle réunion de héros, ici, il n’y aura jamais de retraités !
A 23 heures nous nous trouvions dans le boyau. Le commandant du régiment, lieutenant-colonel Hinka, était là en personne. Petit-Frère grondait.
– Le docteur Mahler a dit qu’il ne fallait pas me fatiguer, mais naturellement on s’en fout ! Sainte Vierge de Kazan, quel fumier que cette guerre !
– La ferme, Petit-Frère, dit Hinka débonnaire. Tu risqueras la corde un de ces jours.
On mit les montres à l’heure. – 23 h 9 précises, dit Hinka.
Dans le secteur de droite grondait un bruit d’artillerie, un feu un peu inquiétant.
– C’est du côté du régiment de couverture 104, dit le légionnaire en suivant des yeux la queue de comète d’une
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