Carnac ou l'énigme de l'Atlantide
Monmouth (un clerc
gallois) ait voulu donner aux malheureuses victimes bretonnes un cadre digne de
leur sacrifice et en quelque sorte sacraliser celui-ci en le localisant à
Stonehenge. Et comme, malgré tout, Geoffroy de Monmouth possédait des
informations sûres – qu’il ne savait pas utiliser scientifiquement la plupart
du temps –, il est possible de prétendre qu’il s’agit en fait d’un amalgame
entre un événement historique et une réalité presque quotidienne à Stonehenge, à
savoir des sacrifices sanglants. Pourquoi pas ? Tous les peuples de la
Préhistoire ont accompli des sacrifices sanglants, même si ceux-ci étaient la
plupart du temps symboliques. Il y a peut-être dans le récit de l’Historia
Regum Britanniae le souvenir d’une époque très lointaine où l’on pratiquait
des sacrifices dans le sanctuaire de Stonehenge, en l’honneur d’une divinité
qui, de toute évidence, devait posséder un caractère solaire.
La même Historia fait d’ailleurs mention de la
légende de fondation de Stonehenge par Merlin. L’événement se situe au moins
une dizaine d’années après le « Complot des Longs Couteaux », et le
caractère funéraire du monument est clairement mis en avant. Le roi de Bretagne
est maintenant Aurelius Ambrosius (Emrys Wledig) dont Merlin est le conseiller
avant de devenir celui d’Uther Pendragon, puis celui d’Arthur. Un jour que le
roi vient le voir, Merlin lui dit : « Si tu veux honorer tes morts
par une sépulture perpétuelle, envoie des messagers au Cercle des
Géants qui se trouve sur la montagne de Killara en Irlande. Là, en effet, se
trouvent des pierres que personne de ce temps ne pourrait assembler, sinon par
art ingénieux. Grandes sont ces pierres et elles n’ont pas leur pareille en
vertu. Qu’on les range en cercle dans cet endroit, et elles tiendront
perpétuellement ». Le roi s’étonne qu’il faille aller chercher si loin des
pierres alors qu’il y en a tant dans l’île de Bretagne. Merlin répond :
« Ce sont des pierres mystiques et douées de différentes vertus curatives.
Autrefois les Géants les ont apportées du fond de l’Afrique et ils les ont
placées en Irlande, alors qu’ils l’habitaient. À cause de cela, ils les
mettaient dans leurs bains et guérissaient ainsi leurs maladies. Ils les
mélangeaient avec des emplâtres d’herbes pour guérir leurs blessures. » [31] Aurelius Ambrosius envoie une armée en Irlande, en
compagnie de Merlin, et sous la conduite de son frère Uther Pendragon. Après
avoir vaincu le roi d’Irlande qui s’opposait à ce que les Bretons emportassent
les pierres, les soldats essaient de déplacer les blocs sous l’œil goguenard de
Merlin, lequel finit par employer sa magie pour les conduire dans les navires, et,
de là, en Bretagne. Merlin, toujours par ses sortilèges, les met en place à l’endroit
voulu, et le roi fait célébrer de grandes fêtes.
Le récit de Geoffroy de Monmouth, où celui-ci ne fait que
reprendre des traditions populaires dans lesquelles Merlin ne joue pas
forcément un rôle, est intéressant à plusieurs titres. D’abord, il nous montre
une filiation certaine entre l’Irlande et l’île de Bretagne : Stonehenge
est fabriqué, sinon avec les pierres d’Irlande, du moins sur le modèle qu’on
trouvait en Irlande. Il y a continuité dans le monde
mégalithique, ce qui apparaît nettement dans l’architecture des grands dolmens
sous tumulus. Il y a parenté entre tous les alignements, que ce soient ceux d’Irlande,
ceux de la plaine de Salisbury ou ceux de la région de Carnac.
Ensuite, il s’agit d’honorer des morts. Le monument de
Stonehenge paraît davantage un sanctuaire qu’une nécropole. Si l’on peut
toujours hésiter sur la double destination d’un dolmen, tombeau et temple , il semble que Stonehenge soit , comme les alignements de Carnac,
entièrement consacré aux manifestations du culte. Mais à Stonehenge, la
nécropole est autour : le monument occupe le centre d’un vaste champ
circulaire balisé par de nombreux tumuli , qui sont parfaitement
visibles quand on se trouve près du sanctuaire. Il est bien évident que la
construction de Stonehenge n’a rien à voir avec les démêlés des Bretons et des
Saxons, mais l’aventure propose quand même une certaine justification du
monument, sorte de phare central de sanctuaire central, pourquoi pas dédié à
une divinité lumineuse, à l’intérieur d’une vaste nécropole qui
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