Carnac ou l'énigme de l'Atlantide
barbares : en voici la raison. Lorsque Solon
songeait à faire passer ce récit dans ses poèmes, il s’enquit de la valeur des
noms, et il trouva que les Égyptiens, qui les premiers écrivirent cette
histoire, avaient traduit le sens de ces noms dans leur propre idiome. À son
tour, il ne s’attacha aussi qu’à ce sens, et le transporta dans notre langue. Ces
manuscrits de Solon étaient chez mon père. Je les garde encore chez moi et je
les ai beaucoup étudiés durant mon enfance. Ne soyez donc pas surpris de m’entendre
moi-même employer des noms grecs. Vous en savez la raison. » Il faudra se
souvenir de cette transposition des noms barbares en noms grecs : Critias
insiste beaucoup là-dessus, non seulement pour se justifier à l’avance d’une
accusation qui pourrait lui être faite, mais aussi parce que la description qu’il
va donner risque d’être faussée par le passage dans deux langues, en
égyptien et en grec. Il va sans dire que cette méthode était courante dans l’Antiquité :
César, lorsqu’il dresse la liste des dieux gaulois, les affuble de noms latins.
Critias n’est donc pas dupe du manège : c’est pour la commodité de la
chose, et parce qu’il ne connaît pas – pas plus que Solon – les véritables noms
atlantes des personnages qu’il va citer. De plus, c’est un avertissement, car
la description proposée est à l’usage des Grecs, elle va être faite sur le mode
grec, de la même façon que ce que Solon avait entendu était fait sur le mode
égyptien. Il est donc nécessaire de ne pas tout prendre à la lettre, et de
rectifier, le cas échéant, en sachant que tout ce qui paraît grec n’est qu’une
transposition. Il fallait insister sur cette remarque préliminaire de Critias, car
jusqu’à présent, on a voulu présenter l’Atlantide comme un pays doté d’une
architecture extraordinairement sophistiquée, dans un cadre de civilisation qui
ressemble fort à celui de la Grèce. N’oublions pas que ce récit est à l’image
de ce que pouvaient comprendre des gens du IV e siècle avant
notre ère, à Athènes, et que ces gens n’avaient aucune idée de ce que pouvait
être la reconstitution authentique des éléments historiques lointains.
Donc Critias se lance dans une longue et précieuse
description de l’Atlantide : « Nous avons déjà dit que, lorsque les
dieux se partagèrent la terre, chacun d’eux eut pour part une contrée, grande
ou petite, dans laquelle il établit des temples et des sacrifices en son
honneur. L’Atlantide était donc échue à Poséidon. Il plaça dans une partie de
cette île des enfants qu’il avait eus d’une mortelle. »
On s’aperçoit que les habitudes des divinités n’ont pas
changé depuis des millénaires : elles commencent toutes par se faire
construire des temples et par faire organiser des sacrifices en leur honneur. Bon
nombre de villes actuelles ont été ainsi fondées par la Vierge Marie ou par un
saint quelconque qui, lors de son apparition supposée, a demandé qu’on bâtisse
un sanctuaire en son honneur : c’est le cas de Lourdes, c’est le cas de Lisieux,
c’est le cas de Paray-le-Monial, c’est le cas de Sainte-Anne-d’Auray, et bien
entendu de Fatima. Traduisons prosaïquement : lors d’une fondation d’État
ou de pays organisé, la classe sacerdotale se met immédiatement en avant et s’assure
de substantiels revenus. Cela dit, le Poséidon à qui échoit l’Atlantide demeure
bien mystérieux. Si les Égyptiens, puis les Grecs, l’ont transposé en Poséidon,
c’est qu’il devait avoir quelque chose avec la mer et la navigation. De fait, nous
verrons que les Atlantes sont de hardis navigateurs. Mais cela ne signifie pas
que ce dieu atlante ait eu toutes les caractéristiques de Poséidon. Les
Atlantes, pour autant qu’on sache, n’étaient pas des Indo-Européens. Que
viendrait faire un dieu bien connu de la tradition indo-européenne chez un
peuple qui non seulement n’est pas indo-européen, mais qui, de plus, est censé
vivre près de neuf mille ans avant l’arrivée des Indo-Européens sur les rivages
de l’Atlantique ? Il convient donc de mesurer avec une extrême prudence ce
Poséidon atlante, tout en lui reconnaissant une fonction liée à la navigation –
et à la tempête (le Poséidon grec, ne l’oublions pas, est aussi le dieu des
tempêtes et des orages, le divin Ulysse en sait quelque chose !).
Continuons le récit de Critias : « C’était
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