Carnac ou l'énigme de l'Atlantide
une
plaine située près de la mer, et, vers le milieu de l’île, la plus fertile des
plaines. À cinquante stades plus loin, et toujours vers le milieu de l’île, était
une montagne peu élevée. Là, demeurait, avec sa femme Leucippe, Évenor, l’un
des hommes que la terre avait autrefois engendrés. Il n’avait d’autre enfant qu’une
fille nommée Clito, qui était nubile quand ils moururent tous
deux. Poséidon en devint épris et s’unit à elle. »
Voici qui est très intéressant. Évenor et Leucippe sont des
enfants que la terre a engendrés. Ce sont donc des divinités telluriques, liées
au sol qu’elles régissent et occupent. Survient l’étranger, Poséidon, qui n’est
pas de même race, puisque c’est un ouranien, un dieu céleste. Pour assurer la
légitimité de son pouvoir sur l’Atlantide, il va donc obligatoirement épouser
une représentante de l’ancien pouvoir tellurique. Leurs enfants seront donc les
héritiers légitimes. On remarquera qu’il s’agit ici d’un mythe de fondation
strictement identique à celui de la fondation de la Gaule par
Héraklès-Gargantua qui épouse la jeune Galatée, fille du roi d’Alésia, dont il
aura un fils nommé Galatès, qui sera l’ancêtre des Gaulois. Et, sur un plan
plus symbolique, cette union représente l’alliance privilégiée du Ciel et de la
Terre, la constitution d’une société organisée à la fois temporellement et
spirituellement, avec ses classes productrices et ses classes intellectuelle et
sacerdotale. Les mythes reflètent toujours, lorsqu’ils sont actualisés dans un
récit historique, un état social déterminé à une époque donnée.
« Puis, pour clore et isoler de toutes parts la colline
qu’elle habitait, il creusa alentour un triple fossé rempli d’eau, enserrant
deux remparts dans des replis inégaux, au centre de l’île, à une égale distance
de la terre, ce qui rendait ce lieu inaccessible : car on ne connaissait
alors ni les vaisseaux, ni l’art de naviguer. En sa qualité de dieu, il
embellit aisément l’île qu’il venait de former. Il y fit couler deux sources, l’une
chaude et l’autre froide, et tira du sein de la terre des aliments variés et
abondants. Cinq fois Clito le rendit père de deux jumeaux. »
Ce qui est frappant, c’est la hâte avec laquelle Poséidon
met à l’abri la jeune Clito, au centre de l’île, dans une forteresse inexpugnable,
avec trois enceintes. La forteresse ainsi décrite ressemble quelque peu aux
grands sanctuaires mégalithiques qu’on trouve en Bretagne (Gavrinis, Dissignac
et Barnenez) et en Irlande (New-Grange). Ce n’est en tout cas pas une
forteresse sur le modèle grec, ni sur le modèle égyptien. Certes, le fait d’isoler
Clito dans un palais bien délimité représente une volonté certaine d’élitisme :
on ne se mélange pas entre dirigeants et sujets. Mais cela peut également
signifier que Poséidon s’attirait l’animosité de la population en usurpant le
pouvoir. En mettant Clito à l’abri, il s’y mettait lui-même. Et surtout, il
faisait de Clito la souveraine symbolique, la mère de la collectivité qu’il
était en train de créer. Ce sont des notions qu’on retrouvera plus tard chez d’autres
peuples, en particulier chez les Celtes. Quant à l’action de Poséidon qui fait
jaillir deux sources, c’est un thème folklorique et hagiographique bien connu :
dans le légendaire breton, il est bien rare qu’un saint fondateur ne fasse pas
jaillir une fontaine, lors de son arrivée sur une terre nouvelle, en frappant
le sol de son bâton. Le schéma de l’histoire racontée par Critias est conforme
à toutes les données du genre.
Il faut cependant s’interroger sur l’union de Poséidon et
Clito. N’est-elle pas un doublet savant de celle de Poséidon avec Amphitrite ?
On sait que le dieu était amoureux de la néréide Amphitrite, mais que celle-ci,
voulant demeurer vierge, le fuyait sans cesse. Diverses versions de la légende
font intervenir soit un dauphin, soit un homme du nom de Delphinos, dans la « quête »
d’Amphitrite. C’est en tout cas le dauphin ou Delphinos qui ramène Amphitrite à
Poséidon, permettant à celui-ci de l’épouser. Il en a un fils nommé Triton. Cette
fable est irritante dans la mesure où l’on ne sait pas très bien quelle entité
divine se cache sous l’aspect du dauphin. On sait que c’est un des attributs d’Apollon.
On sait aussi qu’à Delphes, avant
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