Ce jour-là
d’accompagner mon père et de ne pas rester bloqué à la maison. J’avais deux sœurs, et le lien que j’avais tissé avec mon père était très fort. C’était un truc de mecs ; il m’apprenait à tirer, à chasser, à poser les pièges. En grandissant, il me laissait chasser et pêcher seul et il m’arrivait de remonter la rivière dans le bateau familial pendant toute une semaine. D’une certaine manière, c’était mon premier contact avec la « règle des grands garçons » et j’en profitais pleinement. Sans compter que je n’avais aucune envie de rester à la maison avec les filles.
Je préférais tout le temps être dehors. J’aimais me retrouver dans la nature – sauf quand il faisait trop froid. J’avais compris que si mon père acceptait que je l’accompagne, il n’était pas question que je me plaigne du froid comme un gosse. Mais là, au bout de plusieurs heures dehors, il fallait que je me réchauffe les pieds et les mains.
« Papa ! criai-je dans le vent, tâchant de couvrir le bruit de la motoneige. Papa ! J’ai les pieds gelés ! »
Mon père, qui portait exactement la même tenue que moi, arrêta l’engin. Il se retourna, et j’imagine qu’il vit un petit garçon claquer des dents derrière son foulard.
« Je suis gelé.
— Nous n’avons plus que quelques pièges à relever, me dit mon père. Tu peux tenir ? »
Je le regardais, répugnant à lui répondre par la négative. Je ne voulais pas le décevoir. Je le fixais en espérant qu’il allait faire le choix pour moi.
« Je ne sens plus mes pieds, insistai-je.
— Descends de la motoneige et marche derrière moi. Suis mes traces. Je vais continuer, je ne serai pas loin devant. Ne sors pas des traces et n’arrête pas d’avancer, c’est ça qui te tiendra chaud. »
J’obéis et rajustai la bandoulière de la carabine que j’avais dans le dos.
« Tu as bien compris ? » me demanda mon père.
Je hochai la tête.
Il redémarra en direction du piège suivant. Je commençai à marcher et mes pieds se réchauffèrent.
Les amoureux de la vie au grand air dépensent des milliers de dollars pour faire l’expérience de la toundra de l’Alaska, mais, pendant presque toute mon enfance, je n’avais qu’à sortir de chez moi pour la vivre.
Il y avait dans ma famille un goût de l’aventure qui n’était pas commun. J’avais cinq ans lorsque nous nous sommes installés dans un petit village inuit au plus profond de l’Alaska. Mes parents étaient tous les deux missionnaires ; ils s’étaient rencontrés au collège, en Californie, et s’étaient vite rendu compte que leur foi non seulement les poussait à répandre le christianisme, mais faisait aussi appel à leur goût pour l’aventure.
En plus de son œuvre de missionnaire, mon père travaillait pour l’État. Son poste exigeait un diplôme et il était l’un des rares au village à en avoir un.
Ma mère restait à la maison pour s’occuper de nous. Elle nous aidait à faire nos devoirs, et exerçait sa discipline sur nous. J’étais le deuxième des trois enfants. Nous avions une vie familiale intense, car il n’y avait pas grand-chose à faire dans le village. Les hivers y étaient terribles, et nous nous retrouvions souvent autour de la table de la cuisine pour jouer à des jeux de société.
Mais parler de village est un peu exagéré. Il y avait deux magasins, pas plus gros à eux deux qu’un garage, une petite école et un bureau de poste. Pas de centre commercial. Pas de cinéma, mais un des magasins louait des cassettes. Le joyau du patelin était sa piste d’atterrissage, dont la longueur pouvait accueillir un 737 et de gros avions cargos à hélices. Cela faisait du village un centre pour la région. Les petits avions de brousse charriaient leur lot de chasseurs et de randonneurs arrivés d’Anchorage et les déposaient dans les villages les plus reculés, le long de la rivière.
Nous occupions une maison à un étage à cent mètres de la rivière. Elle avait une vue splendide sur le fabuleux paysage de l’Alaska. De temps en temps, j’avais la chance de voir un orignal ou un ours depuis ma porte. Quand je n’étais pas à l’école, j’étais dehors à la chasse et à la pêche. Depuis tout petit j’étais à l’aise dans les bois, un fusil à la main, autonome et responsable.
Pendant l’entraînement au BUD/S, j’avais excellé en combat terrestre. Ce n’était pas très différent des expéditions de
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