Ce jour-là
ne collait pas, parce que les hommes dorment normalement dans des chambres séparées des femmes. Je leur ai fait un geste avec la paume ouverte pour leur faire comprendre de rester calmes. L’homme essaya de parler.
« Chutttt ! » murmurai-je. Pas question qu’il donne l’alerte.
Il ne me quitta pas un instant des yeux. Je le pris par le bras droit et le mis debout, repoussant les couvertures pour m’assurer qu’il ne cachait pas d’armes. Je le maintenais contre le mur, et j’ai soulevé les couvertures des femmes. Il y avait une petite fille qui ne devait pas avoir plus de cinq ou six ans. La mère de la fillette l’a attrapée et serrée contre elle.
J’ai poussé l’homme au milieu de la pièce, lui ai passé des menottes souples aux poignets et enfilé un capuchon sur la tête. Mon coéquipier surveillait les femmes pendant que je fouillais les poches de l’homme. Puis je le fis mettre à genoux, la tête dans l’angle du mur. Il essaya de parler, mais je lui appuyai la tête contre le mur pour étouffer sa voix.
Notre chef, celui qui supervisait la mission, passa la tête par la porte.
« Qu est-ce que vous avez trouvé ?
— Un MAM, répondis-je, ce qui est l’abréviation de m i litary-aged man [homme en âge d’être soldat]. J’ai pas fini de fouiller la pièce. »
J’allai à l’autre bout de la chambre, près des matelas. J’ai vu dépasser la crosse marron d’un AK-47. Sur une pile de sacs en plastique, il y avait aussi un étui à cartouches et une grenade à main.
« AK, dis-je. Cartouchière de poitrine. Grenade. Merde ! » J’étais furieux de ne pas avoir repéré les armes plus tôt. Mon coéquipier qui s’était chargé de surveiller les femmes ne les avait pas vues non plus.
L’homme que nous avions coincé était donc un combattant, et un petit malin, en plus. Il avait caché ses armes pour que nous ne puissions pas les voir en entrant dans la chambre.
Je n’avais qu’une envie, abattre ce type sur-le-champ. Il connaissait nos règles et les utilisait contre nous. Nous ne pouvions lui tirer dessus que s’il représentait une menace. S’il avait eu des couilles, il nous aurait allumés dès que nous avions franchi la porte. Il savait que nous étions dans la maison. Il nous avait entendus arriver et avait sans doute pensé qu’il pouvait se cacher avec les femmes.
Une fois la maison sécurisée, j’ai conduit l’homme dans une autre pièce pour l’interroger. Le sol était recouvert de tapis et de nattes. Une télé posée sur le sol était allumée, mais l’écran restait neigeux. L’interprète à côté de moi, je dégageai la tête de mon prisonnier. Il avait le visage en sueur, et clignait des yeux, agrandis par la lumière.
« Demande-lui de nous expliquer pourquoi il avait ces armes, dis-je à l’interprète.
— Je suis un invité, dans cette maison, dit l’homme.
— Ah ? Et comment se fait-il que je vous ai trouvé avec les femmes et la fillette ? Les invités ne dorment pas avec les femmes.
— L’une d’elles est ma femme.
— Mais je croyais que tu étais un simple invité. »
L’interrogatoire continua comme ça pendant une demi-heure. Il n’arriva pas à nous raconter une histoire cohérente et le lendemain matin nous l’avons remis aux marines.
C’était frustrant, car le scénario se répétait à chaque mission. On les attrapait et ils étaient relâchés. On les retrouvait dans la rue à peine quelques semaines plus tard. Je savais que le type débusqué dans la chambre avec les femmes n’allait pas tarder à être relâché. Les seules fois où on ne les retrouvait plus dehors, c’était quand ils décidaient de combattre et qu’ils étaient abattus.
Nous avons découvert plus tard, grâce à des anciens du village, que les hommes (dont celui pris dans la chambre des femmes) faisaient partie d’une cellule d’insurgés qui allaient d’une maison à l’autre. Le type que nous avions arrêté était bien dans sa famille ce soir-là. Les trois autres hommes de sa cellule avaient été tués la nuit même après un court échange de tirs avec mes camarades. Ceux-ci avaient eu la chance de leur tomber dessus avant que les insurgés aient le temps de réagir. Dans la maison, ils avaient trouvé des armes, des mines et des explosifs pour piéger les routes.
Après avoir nettoyé nos cibles de départ, nous avons fouillé les autres maisons du village. Dans une chambre, je suis tombé sur une pile
Weitere Kostenlose Bücher