Ce jour-là
pensé et de la discrétion sont une combinaison mortelle.
9
I L SE PASSE DES CHOSES À W ASHINGTON
Debout dans mon jardin, je tâtais l’herbe de mes orteils et regardais le ciel bleu.
Nous étions au début du printemps 2011. Trois semaines auparavant, j’arpentais l’épais gravier des bases d’opération avancées américaines. L’hiver était rude en Afghanistan. Des mois durant, ce n’était que glace, neige et boue. Depuis le 11 Septembre 2001, j’enchaînais les missions d’un pays désertique à un autre. J’avais appris à apprécier des choses aussi élémentaires qu’une belle pelouse bien verte.
J’étais heureux d’être à la maison.
Le dernier déploiement s’était passé au ralenti pour l’essentiel. Comme souvent en hiver, l’adversaire s’était retiré au Pakistan pour attendre des températures plus clémentes. Mes trois semaines de permission tiraient à leur fin, mon unité allait rejoindre le Mississippi pour s’entraîner. Il me tardait de retrouver l’action. Et ce genre d’entraînement permettait de souffler un peu et de se détendre.
Pour la première fois depuis bien longtemps, je ne m’entraînerais pas avec Steve. Il avait terminé sa carrière de chef d’unité. Au retour de notre dernière mission, on l’avait transféré à la Green Team comme instructeur. Il n’y avait eu aucun discours d’adieu. Nous avions simplement débarqué, rangé notre matériel, et lorsque Steve est revenu de permission, il a commencé son boulot avec la promotion suivante.
Je m’étais levé de bonne heure ce matin-là, pour faire du sport et préparer mes affaires en vue du voyage, lorsque je tombai sur lui.
« J’ai besoin de faire une pause, me dit-il. Ça fait un bout de temps que je suis à la Green Team, et c’est beaucoup moins marrant aujourd’hui, avec leurs nouvelles règles.
— Je te comprends. Je fais une dernière rotation en tant que chef d’unité, et après on verra. »
Tout le monde, dans l’équipe, avait l’expérience du combat. Les gars avaient en moyenne douze missions à leur actif ; au moins. En dépit du rythme et d’une vie familiale sacrifiée, la plupart d’entre nous en redemandaient.
« Ça ne va pas durer bien longtemps, ta pause, dis-je à Steve. Tu vas bientôt redevenir chef d’unité.
— Comme ça nous allons nous perfectionner en PowerPoint tous les deux. »
En Afghanistan, tout devenait plus compliqué. À chaque déploiement, on se retrouvait avec de nouvelles exigences, de nouvelles restrictions. Pour faire approuver une mission, il fallait à présent des pages et des pages de PowerPoint. Juristes et officiers d’état-major scrutaient les moindres détails pour s’assurer que le gouvernement afghan accepterait notre plan.
Dans les missions, il y avait de moins en moins de spécialistes de l’assaut, et de plus en plus d’occasionnels, avec des tâches très limitées. Nous emmenions des observateurs de l’armée avec nous en opération, afin qu’ils puissent réfuter les fausses accusations.
En somme, les politiques nous demandaient d’oublier tout ce que nous avions appris, surtout les leçons apprises dans le sang : ils voulaient des solutions politiques. Pendant des années, nous nous étions introduits en douce dans des bâtiments pour prendre l’ennemi par surprise.
Terminé.
Lors de la dernière rotation, on nous avait carrément demandé d’appeler les combattants avec un porte-voix pour qu’ils sortent les mains en l’air. On avait un interprète. C’était les méthodes de la police américaine. Une fois les combattants dehors, on fouillait le bâtiment. Si nous trouvions des armes, nous arrêtions les combattants, qui étaient relâchés dans la nature quelques mois plus tard. Il nous arrivait assez souvent de capturer le même type plusieurs fois au cours d’une même rotation.
On avait l’impression de faire la guerre avec une main et de remplir des formulaires administratifs de l’autre. Lorsque nous ramenions des prisonniers, il fallait compter deux à trois heures de plus en paperasses. De retour à la base, la première question qu’on leur posait était : « Avez-vous subi des mauvais traitements ? » Une réponse affirmative se traduisait par une enquête et le remplissage de nouveaux formulaires.
L’ennemi avait appris à tirer parti de ces règles.
Il n’avait pas tardé à s’y adapter. Au cours de mes premières opérations, ils se défendaient, ils
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