Ce jour-là
médaille du 75 e régiment des rangers.
« Tu seras le héros de mon fils pour le reste de sa vie, dit-il. Félicitations. »
J’acquiesce sans rien dire. Ce qui me rend heureux, c’est que tout le monde soit en vie. Le temps n’est pas encore venu de penser à l’héritage que nous laisserons.
18 C ONFIRMATION
L’amiral McRaven nous attend dans le hangar.
Il est seul près de l’entrée, les mains dans les poches. Il a sans doute quitté le commandement des opérations spéciales pour venir ici dès qu’il a appris que nous avions traversé la frontière.
Le pick-up s’arrête à hauteur des portes du hangar et l’amiral vient tout de suite au hayon, l’air impatient de découvrir le corps.
« Montre-le-moi, dit-il.
— OK, monsieur », je réponds en glissant du hayon.
Je prends le sac mortuaire par les pieds et je le tire du camion. Il rebondit sur le sol en béton comme un poisson mort. Je m’agenouille à côté et j’ouvre le sac. Le visage a perdu presque toutes ses couleurs et la peau a pris une teinte terreuse, comme de la cendre. Le corps est mou, et du sang coagulé s’est accumulé dans le fond du sac.
« Voilà votre homme », dis-je.
McRaven, dans sa tenue de camouflage couleur sable, se penche sur Ben Laden tandis que je lui montre ses deux profils en dégageant bien la barbe.
Je dis : « Il se teignait la barbe. Il n’a pas l’air aussi âgé que ce qu’on pensait. »
Je me relève et recule de quelques pas pour laisser les autres s’approcher. Dans l’équipe de l’autre hélicoptère, beaucoup n’ont pas encore vu le corps. Il y a bientôt une petite foule autour de McRaven, qui s’est agenouillé pour mieux voir.
« Il mesure un mètre quatre-vingt-dix, en principe », dit l’amiral en parcourant le groupe des yeux.
Je comprends où il veut en venir.
« Combien mesurez-vous ? »
Un des SEAL répond qu’il mesure un mètre quatre-vingt-dix.
« Vous voulez bien vous allonger à côté de lui ? » demande l’amiral.
Après un rapide coup d’œil pour s’assurer que McRaven ne se fiche pas de lui, le SEAL s’exécute et McRaven compare les deux à vue de nez.
« Très bien, très bien, vous pouvez vous relever. »
Cette façon de mesurer n’est pas très sérieuse. Mais Ben Laden n’a pas du tout l’aspect que nous avions imaginé. Je suis sûr qu’un instant McRaven a éprouvé les mêmes doutes que moi quand j’étais au deuxième étage.
J’aperçois Jen en retrait. Elle paraît pâle et stressée, sous les lumières puissantes du hangar. Des types continuent à arriver. Jen voit Ali. Il lui sourit et elle se met à pleurer. Deux SEAL la prennent par les épaules et la conduisent jusqu’au bord de l’attroupement pour qu’elle voie le corps, ce qui m’étonne.
Quelques jours avant, dans le réfectoire, Jen m’a avoué qu’elle ne voulait pas voir le corps de Ben Laden.
« Ça ne m’intéresse pas. Il n’est écrit nulle part dans mon contrat que je suis obligée de regarder des cadavres. »
J’étais sûr qu’elle disait ça par bravade. Son boulot ne lui impose pas de se salir les mains. Elle porte des talons hauts très chics et n’a pas à transporter des corps dans des hélicoptères. Mais elle a battu Ben Laden sur un plan intellectuel.
« Si on réussit notre coup, lui ai-je répondu, il faut que vous voyiez le corps. »
Jen, cependant, reste en lisière de l’attroupement. Elle ne dit rien, mais à son attitude je comprends qu’elle voit le corps de là où elle est. Elle pleure. Je réalise qu’elle a du mal à digérer l’information. Elle a passé cinq ans à traquer cet homme. Et maintenant, son cadavre est à ses pieds.
C’est plus facile pour nous.
Nous avons l’habitude des cadavres. Cette horreur est notre quotidien et nous arrêtons d’y penser quand c’est terminé. Nous ne sommes pas des tueurs blasés pour autant, mais quand on a vu un cadavre, on les a tous vus.
Les gens qui travaillent au niveau de Jen n’ont jamais affaire au sang. Voir le corps de Ben Laden par terre devait être très violent pour elle.
Je m’éloigne de l’attroupement. Adossé au pick-up, je pose mon fusil sur le hayon et fourre mes gants dans une des poches de mon pantalon cargo. La plupart des gars du commando sont rentrés. On échange beaucoup de sourires.
Teddy, le pilote du Black Hawk, est l’un des derniers à arriver. À la tête qu’il fait, je vois qu’il est furieux, voire un peu
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