C'était De Gaulle - Tome I
entrons dans le pot au noir.» Ce terme m'était inconnu. «Comment, fait Pompidou, vous ne savez donc pas que c'est une expression favorite du Général? » Gaston Palewski et Roger Frey approuvent.
Pot au noir : expression de marins, dit le dictionnaire, pour désigner un gros grain qui s'approche. « Levez-vous, orages désirés! » Il n'est vraiment à l'aise que dans les tempêtes. La bonace l'ennuie.
Pompidou, imperturbable, répète gaiement la plaisanterie qu'il faisait après la démission des cinq ministres MRP : «Tout ça finira par un gouvernement Bonneval homogène. » En tête à tête, il ne m'a pas caché, bien qu'il ait développé en Conseil des argumentsconvaincants pour justifier le recours à l'article 11 : «Ce que nous allons faire est à la limite de la légalité. Je crois même que nous avons franchi cette limite. Enfin, si nous gagnons, la limite sera reculée. On pourra dire, en paraphrasant le mot célèbre: "Si, c'est légal, parce que le peuple le veut !" Mais le Général veut élever toujours plus haut la barre. Il finira un jour par se casser la gueule, et nous avec lui.»
En fait de pot au noir, nous sommes servis. Les rumeurs alarmantes courent. Monnerville, les radicaux, les francs-maçons ont juré d'avoir, cette fois, la peau du Général. Toutes les formations politiques qui avaient soutenu le gouvernement — ou du moins ne l'avaient pas combattu —jusqu'aux accords d'Évian vont se coaliser contre lui: « Que de Gaulle nous débarrasse de l'Algérie, avait prophétisé Maurice Faure, ensuite l'Algérie nous débarrassera de De Gaulle. »
Le moment leur paraît venu. Entre-temps, le Conseil constitutionnel, le Conseil d'État, les autorités juridiques et morales se sont prononcées massivement, non contre le projet, mais contre la procédure référendaire — laquelle peut seule, évidemment, lui ouvrir la porte qu'avec jubilation, l'Assemblée et le Sénat s'apprêtent à verrouiller.
La censure, répète-t-on dans les couloirs, sera votée à une majorité écrasante. Bien sûr, elle fera tomber le référendum dans la trappe. Après les élections, qui se feront dans la foulée, une forte majorité IV e République s'installera au Palais-Bourbon. De Gaulle n'aura plus qu'à s'en aller. Monnerville exercera l'intérim et se fera élire sans difficulté par le collège des notables. Une seule incertitude, parmi tant d'affirmations péremptoires: «Ne vaudrait-il pas mieux que Monnerville s'efface devant Pinay?»
1 Du 19 septembre au 28 novembre 1962, n'étant plus porte-parole, je n'ai pas pris de notes en Conseil. J'ai reconstitué, aussitôt après, l'essentiel des débats et surtout des interventions du Général ; mais, si je suis sûr du sens, je ne peux garantir le mot à mot.
Chapitre 24
« POURQUOI NE PAS FAIRE CONFIANCE AU PEUPLE ? »
Élysée , 26 septembre 1962.
Comme le Général nous en avait prévenus, chacun des vingt-cinq ministres et secrétaires d'État va de nouveau devoir se prononcer en Conseil. Autour de la table du Conseil, au moment où nous arrivons, deux textes nous attendent sur chaque buvard: l'un prévoyant les modalités d'élection du Président de la République, l'autre édictant les limitations qui seraient apportées à l'exercice de l'intérim par le président du Sénat.
« Messieurs les ministres, veuillez répondre »
GdG : « 1) Quelles précautions va-t-on prendre pour que seuls puissent se présenter des candidats qui en soient dignes, et que les fumistes soient écartés?
«2) Y aura-t-il un second tour et approuvez-vous que seuls les deux premiers candidats du premier tour puissent se présenter au second tour?
«3) Pour l'intérim, êtes-vous d'accord sur la formule proposée, à savoir que le président du Sénat continue à l'assurer, mais sans pouvoir changer le gouvernement, ni faire modifier la Constitution? Ou préféreriez-vous que l'intérim soit exercé par le gouvernement, comme dans la Constitution de 1875 ?
« Messieurs les Ministres, veuillez répondre sur chacun de ces trois points dans l'ordre inverse de la dernière fois (c'est-à-dire dans l'ordre inverse des aiguilles d'une montre, à partir du Premier ministre). Monsieur le Ministre d'État, c'est à vous.
Joxe. — Le chiffre de 100 parrains me paraît très insuffisant. Et je ne suis pas favorable à un changement pour l'intérim ; cela semblerait, à l'égard de M. Monnerville, une suspicion inutile et dangereuse.
Fouchet. — Ce texte
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