C'était De Gaulle - Tome I
reconnu. Il constate les discussions entre juristes. Il donne son sentiment, et le peuple tranche.
Fouchet. — Je ne m'amuserai pas au jeu de la victoire à Waterloo, ni à ce qui se serait passé si Lebrun avait été élu au suffrage universel et avait eu vos pouvoirs. Ce qui me paraît vraisemblable, c'est que Lebrun n'aurait jamais été élu au suffrage universel.
Joxe (comme s'il n'avait pas entendu la réplique que m'a assenée le Général). — Je suis favorable à l'élection au suffrage universel, car je suis favorable au régime présidentiel, vers lequel nous devons aller de plus en plus. Mais il faudra, un jour ou l'autre, modifier la Constitution, en tenant compte du déséquilibre introduit par cette réforme. Sept ans, c'est trop long. Il faudra réduire le mandat à cinq ans et le faire coïncider avec la législature. Ainsi, on serait assuré d'un accord entre le Président et l'Assemblée.
« Enfin, il y aurait lieu de supprimer le pouvoir de dissolution du Président de la République. »
À Pompidou, revient d'opiner en dernier: «Où serait le domaine de l'article 11, s'il ne s'appliquait pas à la révision de la Constitution, et si la procédure parlementaire, celle de l'article 89, était la seule manière de la réviser? Il ne pourrait s'appliquer ni aux lois ordinaires, ni aux lois organiques, qui sont visées par d'autres articles. Il ne s'appliquerait donc à rien du tout. Depuis la guerre, tous les textes constitutionnels ont été adoptés par référendum — à la fois en 1946 et en 1958. Pourquoi ce nouveau texte ne pourrait-il pas l'être maintenant? »
« L'État redeviendrait inévitablement un corps sans tête »
Le Général conclut, sans répondre individuellement à personne:
« Herriot avait accepté d'être président de l'Assemblée nationale de la IV e , quoiqu'il ait refusé d'admettre que la III e soit supprimée. Il invoquait l'ombre du bonapartisme. Il la pourchassait chez le général de Gaulle. C'est déjà le poids de ce précédent qui avait écrasé la III e . Gambetta, Jules Ferry ont été éliminés par le Sénat parce qu'il craignait de voir se profiler un homme fort.
« Les parlementaires voudraient retrouver la plénitude de leurs pouvoirs, en recouvrant la capacité de désigner le Président de la République. L'État était un corps sans tête. Il le redeviendrait inévitablement. Poincaré, dans Au service de la France, explique comment, en quatorze mois, trois gouvernements ont été réduits à l'impuissance. Lebrun, en 40, a été obligé de s'effacer devant Pétain. Coty, dans son message au Parlement de mai 58, a montré que la Constitution de 1946 enfermait le Président dans l'impossibilité de jouer son rôle.
«La Constitution subira une évolution. C'est un texte troplong, trop compliqué. Il faut toujours marcher droit vers la vérité. Et la vérité, c'est la souveraineté nationale.
« Alors, voilà ce que nous allons faire.
« Nous allons préparer un projet de loi qui sera soumis au référendum. Peut-être modifiera-t-on les conditions de l'intérim? Peut-être faut-il écarter des fumistes dans le genre Ferdinand Lop ? Faut-il cinquante signatures, cent? Ça reste ouvert.
« Pour le second tour, il faut deux candidats, pour qu'un des deux l'emporte avec la majorité. Nous ne sommes pas encore très au clair sur ce point. Je reconnais que les dispositions prévues ne sont pas très satisfaisantes. (Un temps.) Pour l'essentiel, l'affaire est tranchée.»
Après un silence, il interpelle Pompidou: «Ainsi donc, monsieur le Premier ministre, conformément à l'article 11 de la Constitution, vous me proposez, au nom du gouvernement, de soumettre au référendum un projet de loi tendant à modifier les conditions d'élection du Président de la République.»
Éclat de rire général. Il faut être de Gaulle pour se permettre de feindre de croire que ses ministres lui proposent ce qu'il leur impose.
Il n'a pas répondu à l'appel dramatique que lui a adressé Sudreau. Mais il reprend, en se tournant vers celui-ci, après avoir détendu l'atmosphère en pince-sans-rire: «Je recevrai personnellement celui ou ceux qui éprouveraient encore des doutes, ce qui me paraîtrait bien naturel.»
« Nous entrons dans le pot au noir »
En nous serrant la main, à l'issue du Conseil du 19 septembre 1962, le Général dit d'un air bonhomme à quelques-uns d'entre nous, avec une sorte de jubilation: « Eh bien! Maintenant, nous
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