C'était De Gaulle - Tome I
« prendre acte des signes d'apaisement qui, depuis plusieurs jours, apparaissent en Algérie. Les élections prévues par les accords d'Evian doivent consacrer la stabilité politique et permettre, par la voie démocratique, la constitution d'un gouvernement véritablement représentatif. Le gouvernement attend essentiellement de la stabilité retrouvée le rétablissement de la sécurité des personnes et des biens, condition fondamentale de la coopération. »
Mais la progression constante du flot des rapatriés interdit de se rassurer. 100 000, ou au maximum 200 000, sur un million: c'est le premier chiffre que le Général me donnait, en décembredernier, pour les pieds-noirs qui étaient censés devoir revenir en France. C'étaient les « profiteurs de la colonisation» pour qui, dans une Algérie décolonisée, il n'y aurait plus de place. Puis il s'est mis à parler de 200 000, de 300 000. Il est resté longtemps à ce dernier chiffre, puis est allé jusqu'à 350 000. Pompidou, le premier, a osé avancer le chiffre de 550 000. Aujourd'hui, on approche de 750 000.
« Mon général, lui dis-je, je crains qu'ils ne retournent pas en Algérie et que presque tous ceux qui y restent encore viennent bientôt les rejoindre. Le FLN ne les laissera pas se maintenir. La pression est formidable. Il n'admet comme coopérants que des Français qui n'ont jamais mis les pieds en Algérie.»
Le Général explose: «Naturellement! Les Européens ont soutenu l'OAS, qui a fait tout ce qu'elle a pu pour saboter les accords d'Évian et pour rendre impossible la coexistence des communautés!
AP. — Est-ce que ce n'était pas inévitable? On leur avait tellement répété: "La valise ou le cercueil"... Ils préfèrent quand même la valise.
GdG. — Mais non! Avec un peu de bon sens, ça aurait pu être évité. »
Tels sont les derniers propos qu'il me délivre en tant que porte-parole, et les premiers en tant que ministre des Rapatriés. Pas très encourageants. Y a-t-il du bon sens dans les guerres, surtout civiles ?
« Je me demande si vous n'exagérez pas un peu »
Au Conseil du 26 septembre 1962, pour ma première communication dans mes nouvelles fonctions, je donne au Conseil des chiffres complets qu'on n'osait pas jusqu'à présent avancer de peur d'accroître la panique. Je les ai précédemment montrés à Pompidou, qui a approuvé mon intention de les révéler au gouvernement : « On ne peut pas continuer à se bercer d'illusions. »
AP: «Il y avait en Algérie 1 020 000 civils européens au dernier recensement, le 1 er juin 1960. Environ 160 000 en étaient partis au 1 er janvier 1962 et ne sont pas revenus ; il en restait donc 860 000, qui sont réduits à 260 000 aujourd'hui. Il y a 760000 repliés européens en métropole, auxquels s'ajoutent 15 000 musulmans (harkis, moghaznis et leurs familles) 2 ; auxquels il faudra sans doute ajouter des milliers de musulmanscivils qui commencent, depuis ces jours derniers, à quitter précipitamment l'Algérie pour des raisons, disent-ils, de sécurité, ou plutôt, me disent mes services, pour trouver en France un travail que l'Algérie ne leur offre pas. Ce qui va faire quelque 800000 rapatriés d'Algérie, sans compter, 400 000 rapatriés européens récents de Tunisie, du Maroc et d'Egypte.
« Hypothèse optimiste: les retours en Algérie, en cas d'amélioration nette de la sécurité, feraient remonter la population européenne à 300 000, voire 350 000 personnes. Hypothèse raisonnablement pessimiste: les départs d'Algérie continueraient. Il ne resterait plus à l'entrée de l'hiver que 150000, peut-être même 100 000 Européens décidés à rester en Algérie coûte que coûte.
« Suivant le cas, les rapatriés d'Algérie en métropole seraient de l'ordre de 650 000 ou de 900 000. C'est au cours des semaines qui viennent que les rapatriés devront s'organiser pour l'hiver et décideront s'ils retournent ou s'ils restent.
«Les services mis en place par M. Boulin font remarquablement face à l'accueil, j'ai pu le constater dans le Midi et le Sud-Ouest. Mais le reclassement n'a pas commencé.
«Si la plus grande partie des rapatriés décide de rester en métropole, il faudra définir une véritable politique d'intégration. Je ne crois pas qu'il suffise de laisser faire les mécanismes du marché de la main-d'œuvre. »
Le Général m'a laissé parler sans me quitter des yeux. Mais visiblement sans plaisir. Il se contente de dire, presque à voix
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