C'était De Gaulle - Tome I
officiellement l'existence des syndicats et a jeté les bases du droit syndical français.
Chapitre 9
« ON M'INSULTE SUR MES PROPRES ONDES »
23 mai 1962.
La réaction du Général, quand je lui ai parlé de doter la télévision d'un statut, m'a un peu échaudé. J'ai entamé une série de consultations avec mes amis du groupe gaulliste. Ils sont unanimement défavorables au principe même d'un statut (« Nous ne pouvons rien sur la presse ; qu'au moins nous gardions le contrôle de la télévision »). Mes projets, en revanche, sont rejetés comme insuffisants par les MRP. Diligent se fait l'avocat farouche d'un statut retirant toute tutelle de l'État sur la télévision.
Pour y voir plus clair, j'ai invité à déjeuner Jean Marin, président de l'Agence France-Presse, dont à première vue le statut me paraît une assez bonne formule pour garantir une indépendance rédactionnelle, tout en évitant que l'opposition ne s'en empare. J'aime son humour aigu ; ses grandes perspectives historiques, enrichies d'une expérience peu commune ; la grande réussite qu'il a faite de l'AFP, après avoir soigneusement préparé, depuis le cabinet d'un ministre de l'Information nommé François Mitterrand, le statut d'indépendance dont il allait être le bénéficiaire.
« Le Général n'est pas porté à abandonner une autorité qu'il détient »
Je lui explique que je travaille à un statut pour la RTF qui serait à mi-chemin du statut de la BBC et de celui de l'AFP.
« Les Anglais, me répond-il, sont les maîtres pour tout ce qui concerne les institutions d'une société libre. Ils ont inventé le contrat social, le Parlement, l'habeas corpus, le pouvoir de la majorité, les droits de la minorité, le respect de la règle du jeu, le fair play. Le statut de la BBC est parfait. Je m'en suis inspiré pour l'AFP. Ça n'a pas empêché la BBC, pendant la guerre, d'être rigoureusement contrôlée par le gouvernement de Sa Majesté. Ça n'empêche pas le directeur de l'Information de la BBC, quand arrive une nouvelle un peu inattendue, de téléphoner à un vieil amiral, dans une soupente du 10 Downing Street, qui lui dit en mâchonnant sa pipe : "Ici, nous dirions plutôt que..." ou " Vous vous hasarderiez peut-être si vous disiez que..." Le directeur del'Information de la BBC comprend à demi-mot et en tire aussitôt les conséquences.
« C'est évidemment cela qu'il faudrait faire. Mais vous aurez bien du mal à l'obtenir du Général. Il n'est pas naturellement porté à abandonner une autorité qu'il détient. Mais c'est lui rendre service, en l'occurrence, que de l'amener à en lâcher.»
Que de fois j'ai entendu cette théorie de la fidélité infidèle ! « Pour être un bon gaulliste, il faut savoir s'opposer à de Gaulle... »
« Ne vous dessaisissez pas de votre responsabilité »
Petit Matignon, 27 mai 1962.
Le conseiller technique de l'Élysée chargé de l'Information, Pierre Lefranc, vient me trouver. Sa haute taille, son air énergique, son œil perçant et ses moustaches le font ressembler à ce qu'était le Général à son âge :
« Il paraît que vous préparez un statut pour la RTF. Je suis chargé (il ne dit pas par qui : ce sont les règles de l'Elysée) de vous mettre en garde contre la tentation de mettre en marche un système qui aurait pour effet que vous laisseriez échapper la RTF à votre autorité.
« Conservez la capacité de nommer qui vous voulez où vous voulez. Si le directeur général ne fait pas l'affaire, vous le changez : il suffit de le proposer au Conseil des ministres, qui ne fera pas la moindre difficulté. Si tel ou tel directeur ou chef de service n'est pas loyal, vous pouvez le révoquer ou le muter. Si un journaliste de la télévision ou de la radio présente les informations d'une manière désagréable au gouvernement, vous le mettez au placard. Par l'autorité que vous détenez de la loi, vous devriez pouvoir mettre la RTF sur les rails, alors qu'elle déraille en permanence. Et vous troqueriez votre autorité contre une vague tutelle, qui ne vous donnerait plus aucun moyen de faire passer votre impulsion ? Cela, le Général ne l'attend pas du tout de vous. Le statut actuel vous donne l'autorité, donc la responsabilité. Le Général n'admettrait pas que vous vous en dessaisissiez.»
J'ai trop entendu le Général lui-même sur ce thème, pour ne pas être sûr que Pierre Lefranc traduit très exactement la pensée présidentielle. Cette fois, la
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