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C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy

C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy

Titel: C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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ferment la bouche :
    — Nous voulons une manifestation silencieuse, car seules les manifestations silencieuses, paisibles et ordonnées nous permettront d’atteindre nos buts !
    Au comble de l’effervescence, après avoir exigé que l’on remplace, sur le drapeau hongrois, l’écusson « étranger au peuple » par les armoiries de Kossuth, les étudiants se séparent à 2 heures du matin. Rendez-vous a donc été pris pour le jour même, au début de l’après-midi.
    Le 23 octobre.
     
    Bulletin de la météo pour Budapest, mardi 23 octobre 1956 : belle journée, ciel dégagé, température supérieure à la moyenne.
    Le soleil brille sur les toits de la capitale, sur ses ponts, sur ce Danube large et majestueux, si souvent chanté, qui sépare Buda de Pest . Il réjouit le cœur de ces centaines de milliers d’habitants qui marchent le long des avenues, des rues, et qui prennent d’assaut les transports publics pour se rendre à leur travail.
    La manifestation des étudiants ? Le rendez-vous auprès de la statue du général Bem ? Ces gens-là l’ignorent mais, la veille au soir, ils ont une fois de plus écouté la radio. Parce que derechef ils ont entendu parler de la Pologne nouvelle qui est en train de naître, soudain ces travailleurs épuisés par des années de privations, logés pour la plupart dans des conditions insupportables, rendus amorphes par la nécessaire prudence qui gouverne la vie quotidienne en régime totalitaire, se sont mis à attendre quelque chose. Quoi ? Ils ne savent pas. Ils espèrent.
    À la même heure, un sexagénaire, portant sur ses épaules un panier de vendangeur, s’enfonce dans les vignobles du lac Balaton. Tout en bas, l’eau étincelle entre les grappes. Cet homme tranquille s’appelle Imre Nagy. Loin de la capitale, il est totalement étranger à ce qui se prépare le 23 octobre.
    Plus tard dans la matinée, un peu avant 10 heures, un train spécial en provenance de Belgrade s’immobilise en gare de Budapest. Cinq hommes réjouis descendent sur le quai agrémenté du tapis rouge de rigueur : c’est la délégation du gouvernement hongrois qui vient de rendre au président Tito une paradoxale visite d’amitié. Une fanfare lance vers la verrière enfumée les accents un peu lourds d’une marche militaire. Voici Ernö Gerö, premier secrétaire du Parti, Andras Hegedus, Premier ministre, Antal Apro, adjoint du Premier ministre, Istvan Kovacs, chef des organisations du Parti pour Budapest. Et le cinquième, Janos Kadar, secrétaire du Comité central du Parti. Kadar, le rescapé. Ils ne savent pas encore que la Hongrie qu’ils retrouvent n’est plus la même que celle qu’ils ont quittée huit jours plus tôt.
    Devant la gare, Ernö Gerö monte dans sa voiture, une longue limousine noire et ordonne au chauffeur de se rendre directement au siège du Parti. Ce qu’il trouvera sur son bureau, ce sont, soigneusement ronéotypés dans la nuit, les seize points votés la veille par les étudiants. Aucun témoignage ne nous est parvenu sur la réaction de Gerö mais nous pouvons aisément l’imaginer. La colère a dû succéder à la stupeur. L’audace de ces intellectuels n’aura-t-elle donc jamais de bornes ? En l’occurrence, pour Gerö, il s’agit d’un véritable crime de lèse-Parti. Quand on lui annonce qu’une manifestation est prévue pour l’après-midi, il réagit brutalement : il n’en est pas question.
    Par voie de conséquence, vers 11 heures, interrompant une émission tzigane, la radio diffuse un communiqué : Afin de préserver l’ordre public, le ministère de l’Intérieur interdit tout rassemblement et toute manifestation publique jusqu’à nouvel ordre. Laszlo Piros, ministre de l’Intérieur . Immense déception parmi les organisateurs de la manifestation. Plusieurs délégations vont se succéder, à la fin de la matinée, auprès du ministère de l’Intérieur et de Gerö lui-même. Le rédacteur en chef du quotidien du Parti, Marton Horvath – pourtant ancien stalinien –, vient adjurer le premier secrétaire de ne pas prendre à la légère les revendications des masses. Gerö lui crie qu’il a perdu la tête et qu’il matera, lui, les fauteurs de désordre et les trublions.
    Sombrement, Horwath pose cette question :
    — Camarade Gerö, que se passera-t-il si la jeunesse universitaire décide de passer outre à l’interdiction et de poursuivre malgré tout sa manifestation muette ?
    — On tirera,

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