Charly 9
Gencives rougies aux crocs blancs
de souris, il constate :
— Ça saoule.
8
— Ah, pendard ! Je vous
retrouve…
Le manteau du roi, se soulevant,
claque au vent tandis qu’il marche à pas fiers et lents vers l’énorme gibet de
Montfaucon où monsieur Dieu balance les cordes de quatre-vingts protestants
pendus. Là, dans les airs charmés de cette colline hors des remparts, volettent
des odeurs qui écœurent.
En s’approchant d’une certaine dépouille,
tous les membres de la Cour qui accompagnent Sa Majesté secouent une main
devant leur nez même le comte en armure Annibal de Coconas qui pourtant n’est
pas un tendre :
— Lors du grand divertissement
de la fameuse nuit, j’ai acheté au peuple trente huguenots pour avoir le
contentement de les tuer moi-même à mon plaisir qui était qu’ils renient leur
religion sous la promesse de les épargner, ce qu’ayant fait je les ai
poignardés après les avoir fait languir à petits coups cruels. Aucun de ceux
qui en suaient ne sentait aussi mauvais que celui-là.
Accroché par une ficelle à
« celui-là », une pancarte indique :
Ici, l’amiral est pendu
Par les pieds à faute de tête !
Coligny nu, châtré aussi à coups de
tranchant de pelle, n’est plus qu’un malheureux débris suintant qui commence à
rendre des senteurs proprement insoutenables. Le monarque poursuit vers lui en
humant l’air alors que les autres ne peuvent aller plus près. Navarre (qui
pourtant ne sent pas la rose) s’arrête à son tour :
— C’est vrai que c’est quand
même vigoureux comme odeur !… Charly, comment peux-tu supporter ces
effluves et grimacer à mon fumet ?
Charles IX contourne la
dépouille verte et gonflée, visage l’effleurant. Il la renifle longuement. Sur
la pointe des pieds, il se délecte du parfum des mutilations. Sa tête ondule au
bout du cou comme un serpent qui danse. Il sourit derrière la carcasse en
voyant là-bas princes et seigneurs serrant leur appendice nasal, se moque
d’eux :
— Je ne bouche pas mon nez
comme vous autres car le cadavre de son ennemi sent toujours bon.
Du bas de la colline de Montfaucon
montent des tourbillons de fumée âcre provenant des grands bûchers où brûlent
les corps d’hérétiques. Un prévôt se tient auprès avec une baguette rouge pour
représenter la justice. Les cadavres condamnés et incendiés à titre posthume
ont le rire logique des têtes de morts tandis que le roi insulte la dépouille
de l’amiral :
— Monstre si laid que le soleil
n’en a jamais vu de pareil !
Henriot, Bourbon goguenard, relève
sa moustache :
— Ton « père », tout
d’un coup, quelle image étrangère !
— Je le trouve dorénavant très
brûlable comme un fagot.
— Ô que tu es matois,
Charly ! Tu as l’âme espagnole !
— Maintenant qu’il est
décapité, châtré, je veux qu’on le mène au bûcher avec les autres pour que plus
aucun lambeau de sa chair ne puisse me manifester sa désolation. Les cendres
des brûlés éparpillés autour des remparts de Paris ouvriront au printemps
prochain un million de fleurs de muguet.
— Qu’en ferons-nous,
Sire ?
Charles ne répond pas. Il disparaît
sans autre trace de lui qu’un aigre éclat de rire.
9
Dans son petit cabinet privé où le
samedi 23 août au soir il avait reçu son Conseil ainsi que sa mère et Anjou,
Charles assis, front appuyé sur les genoux et la nuque dans ses paumes,
grommelle :
— Une seule nuit a détruit ma
vie. Qu’à tous les diables soient données les religions.
Une profonde émotion de remords
fermente sans cesse dans son esprit :
— Vous, Coligny et mes amis,
trop chères victimes, pardon ! Si vous étiez témoins de mes douleurs, à
votre meurtrier, vous donneriez des pleurs.
Il se lève pour aller se contempler
dans le reflet d’un miroir auquel il s’adresse :
— Mais qu’as-tu ordonné,
Charles ? Hélas, hélas ! Les morts ne sont pas si morts que l’on
croit.
Dans ce Louvre qui maintenant lui
fait horreur, il se reproche :
— Tu as commis un grand crime.
Tu n’es plus un roi mais un assassin. Un meurtre abominable ensanglante tes
mains. Te voilà couvert du sang de tes sujets.
Il tend l’index croûteux, enflé et
tuméfié (l’autre fois entaillé par la lame de sa dague) vers la vitre de son
miroir et se menace :
— Voilà une souillure dont tu
ne te laveras pas facilement. Tu as de tous les plus vils tyrans de
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