Charly 9
travers les vitres puis tente, à jeun, de poétiser en
s’étirant :
— Et le soleil, voyant le
spectacle nouveau, à regret élève son pâle front des ondes, transi de se mirer
en mes larmes profondes… Il faudra que je pense à répéter ça à mon poète.
Ronsard limera ce qui ne va pas. Voici un beau soleil qui, de rayons dorés,
jusqu’au lit… Je chercherai la suite une autre fois. Ma chemise !
C’est alors qu’entrent les
gentilshommes servants qui s’occupent des habits royaux. Un fontainier s’empare
d’un broc pour aller chercher de l’eau. Il est entouré d’archers car au Louvre,
par crainte du poison, une vigilance pointilleuse règne autour de tout ce qui
touche le corps de Sa Majesté. Dans la chambre carrée, ornée d’un plafond de
bois trop décoré, Charles IX se vêt devant princes et seigneurs qui ont
assisté à son coucher. Un page se penche sous le chevet du lit pour y saisir un
trousseau de clés :
— Nous allons pouvoir ouvrir
les portes du palais…
Déjà, on entend qu’on retire les
ordures de la cour, balaie les escaliers, couloirs, salles basses et hautes du
Louvre. Tout devra y être propre lorsque le roi quittera sa chambre. Le grand
chambellan surveille les valets qui refont le lit. Quelqu’un verse l’eau du
broc dans un bassin doré couvert d’une belle serviette. Pendant que le barbier
s’active autour du royal menton et qu’un médecin tâte le pouls de Charles, les
gentilshommes, sur ordre d’un huissier, laissent la place à deux importants
personnages qui s’occupent des affaires de l’État accompagnés d’un secrétaire.
— Cela fait combien de jours
que je n’ai plus vu monsieur Nicolas, mon secrétaire habituel ? s’inquiète
le roi. Est-il souffrant ?
— Sire, répond le maréchal de
Tavannes, Nicolas était protestant alors… Au jour qu’il est, sur la Seine, son
corps transpercé de flèches a dû atteindre l’océan.
— Ah, regrette le monarque, je
l’aimais bien. Sinon et c’est pour ça que je vous ai fait venir, d’après ma
mère, il semblerait que je doive m’intéresser davantage aux choses humaines.
Éclairez-moi en ce Conseil étroit. Comment va le monde ?
C’est un connétable, grattant un peu
ses cheveux gris, qui s’y colle :
— Les roses comme avant
palpitent comme avant mais sinon tout a changé dans votre royaume nouvellement
enrichi des pleurs et du sang des Français.
Le roi apprécie ce mot-là pendant
que l’interlocuteur poursuit :
— Le massacre parisien de la
Saint-Barthélemy s’est étendu dans beaucoup de provinces comme par capillarité.
En Touraine, les villes qui jusque-là n’avaient jamais trempé dans les guerres
de religion troublent cette fois la Loire d’une teinte nouvelle. Dax a suivi
même jeu. Pareil à Meaux, Troyes… L’eau de leurs rivières rit en mille ondes
rouges. Au sud de Lyon, ville décimée, Arles, qu’on dit n’avoir ni puits ni
fontaine, souffrit du passage de sang qui pendant dix jours leur défendit le
breuvage du Rhône. Plus d’un mois après, on tue encore dans certaines cités
éloignées.
Charles IX ride des sillons à
son front. Il fronce aussi les sourcils :
— Toute la France aura donc
versé dans cette folie…
— Toute non, conteste le
secrétaire en dépliant une lettre, car Saint-Hérem, le gouverneur d’Auvergne,
vous a adressé une missive, reçue hier soir juste avant qu’on ferme les portes
du Louvre, et que j’aimerais vous lire si vous me le permettez.
— Faites, ordonne le roi.
Le secrétaire chausse ses besicles
et lit : « Sire, j’ai reçu un ordre, non signé et sans sceau royal,
de faire mourir tous les protestants de ma province. Je respecte trop Votre
Majesté pour ne pas croire que cette dépêche est supposée ; et si, qu’à
Dieu ne plaise, l’ordre est véritablement émané d’elle, je la respecte encore
trop pour lui obéir. »
— Je n’ai jamais vu la lettre
qui lui fut adressée, s’énerve le monarque.
— Quand un page est venu pour
vous la faire signer en forêt de Villers-Cotterêts, il fut refusé et éconduit
tout à plat par Sa Majesté qui faisait l’autruche, prétexte le secrétaire.
— Ce Saint-Hérem a commis un
crime de lèse-majesté ! s’étouffe Tavannes hors de lui. Sire, ordonnez
qu’on le pende, l’écartèle et le brûle !
Charles IX réplique :
— Je n’aime pas énormément la
race de feu Judas… pourtant ça vaut encore mieux que la
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