Charly 9
blanc.
Charly 9, baissant le menton
vers sa poitrine, saisit le tissu fin sous le justaucorps et il essore sa liquette
liquide qui coule rouge.
— Le roi transpire du sang de
la tête aux pieds !… s’écrie le grand chambellan. Arrêtez le convoi !
Où sont les médecins ?!
À dos de mulet, il en arrive trois
qui secouent leurs jambes pour faire aller plus vite la monture et, descendus à
terre devant le monarque décontenancé toujours en selle, ils diagnostiquent
aussitôt à tour de rôle :
— Humeurs cuites et accumulées
dedans son corps pour ne s’être point assez mouché la plupart du temps !
— Fièvre pourpre que l’on peut
attribuer à une cause surnaturelle !
— Enchantement et
ensorcellement, il ne passera pas le carême prenant du mardi gras ! Le roi
doit interrompre son voyage et s’en retourner au palais.
Catherine de Médicis descend du
carrosse qu’elle contourne par l’arrière en proposant :
— Ne devrait-on pas plutôt
l’emmener se reposer, là-bas, à Vitry-en-Perthois ?
Le premier médecin de Sa Majesté
conteste cet avis :
— C’est sans doute une assez
belle ville pour vivre mais non pour y mourir, je crois.
Entendant cela, Charly 9 essuie
avec un mouchoir son visage couvert de sang. Il relève une de ses manches et,
voyant l’hémoglobine couler au coude, il pousse des cris sauvages vers sa
mère :
— Ah, mamma ! Mamma !
Ce sont encore de tes faits, ce sont de tes tours ! Mamma, tu me fais
mourir !
— Moi ? Mais je n’ai rien
fait. Je le jure sur ta tête.
— Je préférerais que ce soit
sur celle d’Anjou, commente le roi de France qui ruisselle de sang comme un
échafaud et dont l’abattement devient tel qu’il en glisse de sa selle.
Par la vitre au rideau de cuir qu’il
relève, Henri, resté dans le carrosse, regarde son aîné tomber dans la boue.
L’affectueux cadet entrouvre la portière juste pour rappeler que :
— Suivant la loi salique de ce
royaume, la couronne de France pourrait me revenir vite et il est donc
peut-être inutile que je poursuive ce voyage vers la Pologne.
Au jeune charognard chamarré
d’oreries et de perles, le roi, installé maintenant sur une civière qu’on
soulève, ordonne :
— Va-t’en ! Tu seras
là-bas coiffé d’une fourrure d’ours, habillé à l’orientale, brilleras telle une
icône. J’use encore de mon droit et t’encharge de te retirer de France !
Voyant que les palatins de Varsovie
frottent leurs longues moustaches avec l’air de se demander pourquoi Anjou
rechigne tant à être leur roi, la reine mère se veut diplomate. Elle vient
chuchoter à l’oreille d’Henri :
— Mes Chers Yeux, passe le Rhin
pour n’aller faire qu’un tour à Varsovie. Tu reviendras bientôt…
Charly 9, lui, a toujours du
sang perlant aux pores de sa peau en tous endroits. Hémorragie cutanée, des
petits filets d’hémoglobine sortent par des milliers de trous ainsi que des
serpents frileux quittant leur repaire sur le corps brûlant du monarque.
Laquais et valets de pied l’installent dans une litière à grosses roues en
bois.
Le cortège se scinde sous la pluie,
moitié poursuivant vers Lunéville et la frontière, moitié revenant vers Paris.
Catherine de Médicis embrasse encore une fois son rejeton préféré :
— Tu n’as pas fait tes adieux à
ton aîné. Qu’est-ce que je lui dis de ta part ?
— Que je lui souhaite beaucoup
d’autres ans et santé meilleure.
— Tu es bête… sourit la reine
mère.
À bord du carrosse qui s’est remis
en branle, Anjou, dans le gantelet de fer de sa main droite, vide le reste
d’une boîte d’épingles sur la poupée de cire qu’il malaxe. Entre les doigts du
gant entouré de lames métalliques, l’effigie cireuse s’amollit, s’écrase, se
tord, ne devient plus qu’une vague chose informe traversée d’aiguilles.
37
— Ah, têtubleu ! Ambroise
Paré, regardez-moi ce roi de France qui ne ressemble plus à rien !… Quelle
désolation que de le voir tout piqueté et recroquevillé en tas dans un trône
trop grand pour lui !
— Chut ! Ne parlez pas si
fort, reine Catherine. Il dort.
Venant d’arriver dans cette salle du
trône, l’altière reine mère, sur le pas de la porte refermée derrière elle,
reluque son enfant :
— Je pensais que, plutôt qu’au
Louvre qu’il appelle « le sépulcre des vivants », le faire venir à la
campagne, au château de Saint-Germain-en-Laye, le
Weitere Kostenlose Bücher