Chronique de mon erreur judiciaire
une minute, tout l’univers de mon fils a basculé : plus de parents, plus de maison, plus d’amis. À quatorze ans, c’est difficile à admettre, surtout chez un garçon tel que Thomas naturellement fragile. Odile (8) et moi tombons heureusement d’accord : Sébastien et Cécile resteront chez leurs grands-parents maternels et Thomas sera confié à sa marraine, ma sœur Thérèse.
Je quitte le tribunal, enchaîné et tenu par les poignets, mais plus léger de savoir que ma progéniture se trouve entre de bonnes mains. Enfin, c’est ce que je pense à ce moment.
*
22 août 2002. Cette date raisonne dans ma tête depuis que j’ai reçu une convocation par le greffe de la maison d’arrêt : je dois de nouveau passer devant la cour d’appel de Douai pour une demande de mise en liberté sous contrôle judiciaire. Une énième requête, soutenue par le fait que j’ai trouvé un hébergement en Haute-Saône, chez mes neveux, ainsi qu’une adresse dans le Nord chez mon père, veuf de soixante-dix-sept ans pour qui mon aide serait la bienvenue. Mon dossier est étayé, ces points de chute solides, la libération d’Odile prometteuse, donc j’y pense sans cesse. Mieux, pour mettre tous les atouts de mon côté, mon avocat propose une caution, que mes sœurs et mon père se sont engagés à verser. Comment pourrais-je être débouté avec de telles garanties ?
Je ne dors pas de la nuit, en attente de la fouille habituelle dès 7 heures du matin, puis de la venue des gendarmes, de l’humiliation des menottes et de mon départ dans la sempiternelle Clio vers la cour d’appel.
À Douai, je trouve un maître Delarue gonflé à bloc, la sacoche et l’esprit remplis de logique et de nouveaux arguments. Le début de l’audience se déroule comme d’ordinaire : l’un des assesseurs résume les faits et, durant la demi-heure suivante, mon avocat plaide, mettant le doigt sur les contradictions flagrantes du dossier, les témoignages oiseux ou tardifs, les incohérences des uns et des autres, la nature des personnes mises en cause, et l’absence d’antécédents, soulignant que d’autres noms ont été évoqués sans qu’ils aient été inquiétés… Il insiste également sur mon intégrité professionnelle, ma réputation et précise qu’il ne pourra y avoir de « troubles à l’ordre public » – lesquels, mon Dieu ?
L’avocat général lui réplique en se contentant de lire ses notes.
Il ne développe rien ni même ne m’interroge.
Au final, je trouve l’audience globalement positive et en sort confiant. Maître Delarue me fait même remarquer que l’avocat général n’a émis aucun commentaire négatif – ouvrirait-on enfin les yeux ? – et m’apprend en outre que des membres de ma famille ont écrit au président de la cour d’appel pour appuyer ma cause.
Je repars simplement menotté, et la porte de voiture même pas verrouillée par les gendarmes. Un peu de confiance réapparaît-elle ? À mon arrivée à la maison d’arrêt, à midi trente, mon déjeuner m’attend sur la table, des frites et des merguez. La confiance m’ouvre la faim et je mange le tout comme un glouton. Tant de signes positifs ne peuvent conduire à un nouveau rejet.
Eh bien, si. Le lendemain, Dany m’avertit que l’ordonnance a été confirmée, et ce une heure après mon départ. Je suis littéralement dégoûté.
Chapitre 21
Amiens, récit du quotidien
ou
Comment tenir en prison
Fin août 2002. Peu à peu, je me fais à l’idée que les magistrats ne peuvent plus me libérer sans se dédire. Que s’ils m’ouvrent les portes de la prison, ils auraient l’impression de reconnaître implicitement leurs erreurs passées. À leurs yeux, mon petit cas ne doit pas peser grand-chose.
Désespéré mais philosophe, je prends donc la résolution de vivre, de m’intégrer au monde carcéral en attendant que la vérité se fasse tout bonnement jour. Puisque je ne suis coupable de rien, mon innocence éclatera forcément.
*
Dois-je encore parler de « mon palais » ? Non, que diable !
Je voudrais préciser que le « prince des Mille et Une Nuits » vit bien protégé, derrière des portes blindées et parfaitement verrouillées, mais que le bruit de clés et de verrous le stresse toujours autant. Amélioration, il peut déféquer derrière une porte saloon, ce qui est un peu mieux que le rideau de douche initial. Merci ! Mais au fait, pourquoi merci puisque je suis innocent ?
Certes,
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