Claude, empereur malgré lui
prédécesseur Caligula s’était laissé appeler empereur par esprit de gloriole juvénile, mais même lui avait jugé de son devoir de gagner le titre sur le champ de bataille ; d’où son expédition de l’autre côté du Rhin et l’attaque qu’il avait lancée sur les eaux de la Manche. Ses opérations militaires, bien que fort peu sanglantes, prouvent bien qu’il comprenait les responsabilités impliquées par le titre d’empereur. « Un jour, mes Seigneurs, leur écrivis-je, j’éprouverai peut-être la nécessité d’entrer en campagne à la tête de mes armées, et si les Dieux me sont favorables, je gagnerai alors ce titre suprême, que je serai très fier de porter, mais jusqu’à ce jour, je dois vous demander de ne pas me le décerner par respect pour ces glorieux soldats du passé qui l’ont véritablement mérité. »
Cette lettre leur plut à tel point qu’ils décidèrent par vote de m’élever une statue d’or – non, trois statues d’or, en réalité – mais j’opposai mon veto à cette motion pour deux motifs. D’abord je n’avais rien fait pour mériter cet honneur ; ensuite c’était pur gaspillage. Je les autorisai, cependant, à ériger trois statues à mon effigie qui devaient être placées à des points importants de la cité ; mais la plus onéreuse devait être en argent, et encore pas en argent massif, mais creuse et remplie de plâtre. Les deux autres étaient respectivement en bronze et en marbre. J’acceptai ces trois statues car elles abondaient déjà à tel point dans Rome que deux ou trois de plus ne modifieraient guère le décor, et cela m’intéressait de poser devant un sculpteur de haut talent maintenant que les meilleurs d’entre eux de par le monde étaient à mon service.
Le Sénat résolut également de déshonorer Caligula par tous les moyens en son pouvoir. Les membres votèrent une motion tendant à faire du jour de son assassinat une fête nationale d’actions de grâces. Là encore, j’opposai mon veto, et, mise à part l’annulation des édits de Caligula instituant un culte religieux en l’honneur de lui-même et de la déesse Panthée, comme il avait baptisé ma pauvre nièce Drusilla sa victime, je ne pris pas d’autre mesure pour salir sa mémoire. La meilleure politique à suivre était de l’ensevelir dans le silence. Hérode me rappela que Caligula n’avait en rien déshonoré la mémoire de Tibère, en dépit des bonnes raisons qu’il avait de le haïr ; il s’était simplement abstenu de le déifier et avait laissé inachevé l’arc de triomphe élevé en son honneur.
— Mais que vais-je faire de toutes les statues de Caligula ? demandai-je.
— C’est sans problème, répondit-il. Charge les veilleurs de la cité de les rassembler demain à deux heures du matin quand tout le monde dort et de les amener ici au palais. Quand Rome se réveillera, elle trouvera les niches et les piédestaux vides, ou peut-être occupés de nouveau par les statues qui s’y trouvaient à l’origine.
Je suivis le conseil d’Hérode. Les statues étaient de deux sortes ; celles des Dieux étrangers dont Caligula avait fait enlever la tête pour y mettre la sienne ; et celles qu’il avait fait faire de lui-même, toutes en métaux précieux. Je restaurai les premières du mieux que je pus pour leur rendre leur aspect d’origine, quant aux autres, je les fis casser, fondre et frapper en monnaie à mon effigie. La grande statue d’or qu’il avait placée dans son temple fournit près d’un million de pièces. Je ne pense pas avoir signalé, au sujet de cette statue, que tous les jours, ses prêtres – dont, à ma grande honte, j’avais fait partie – l’habillaient de vêtements semblables à ceux qu’il portait. Non seulement devions-nous la vêtir d’une tenue ordinaire, civile ou militaire, avec les insignes spéciaux de son rang impérial, mais les jours où il lui arrivait de se prendre pour Vénus, Minerve, Jupiter ou la Bonne Déesse, il nous fallait l’affubler du costume approprié avec les différents emblèmes divins.
Me voir en effigie sur des pièces de monnaie flattait ma vanité, mais c’était un plaisir qu’avaient aussi connu d’éminents citoyens sous la République ; il ne faut donc pas m’en tenir rigueur. Toutefois, les portraits frappés sur numéraire sont toujours décevants, car ils sont exécutés de profil. Nul n’est accoutumé à son profil et à se
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