Claude, empereur malgré lui
de son cocher, mais, comme d’habitude, il avait dédaigné mes avertissements. Par la suite, Gaius Caligula lui fit don d’une chaîne d’or, la copie de la chaîne en fer, et l’autre jour le roi Hérode a accroché cette chaîne d’or au Trésor et décroché celle de fer, qui ne brillait pas assez, je suppose. » J’échangeai un regard avec Cypros et nous nous comprîmes sans mot dire. J’ordonnai donc à Thaumastus de se rendre dans ma chambre où la chaîne était accrochée sur le mur face à mon lit et de me l’apporter. Je la fis alors passer tout autour de la table, comme une curiosité. Les Sidoniens l’examinèrent avec un embarras mal déguisé. Puis je demandai à Silas de s’approcher de moi. « Silas, lui dis-je, je vais t’accorder un honneur signalé. En reconnaissance de tous les services que tu m’as rendus, à moi et aux miens, et de la belle franchise dont tu n’as jamais manqué de faire preuve même en présence des invités les plus distingués, je te décore séance tenante de l’Ordre de la Chaîne de Fer ; et puisses-tu vivre longtemps pour le porter. Toi et moi sommes les deux seuls compagnons de cet ordre extrêmement fermé et je t’en remets volontiers les insignes au complet. Thaumastus, enchaîne cet homme et conduis-le en prison.
Silas trop stupéfait pour émettre un son se laissa emmener tel un agneau conduit à l’abattoir. Le plus drôle de l’affaire, c’est que s’il n’avait pas, à Rome, refusé aussi obstinément la citoyenneté que je lui offrais, je n’aurais pu lui jouer ce mauvais tour. Il aurait fait appel à toi et avec ton cœur tendre tu lui aurais sans nul doute pardonné. Enfin, j’étais obligé d’agir ainsi, sinon les Sidoniens ne m’auraient plus jamais respecté. Ils ont paru en tout cas favorablement impressionnés par mon geste et la fin du banquet a été très réussie. Ceci se passait il y a quelques mois et je l’ai gardé en prison – sans que Cypros intervienne en sa faveur – pour lui donner une leçon. Mon intention, néanmoins, était de le relâcher à temps pour qu’il pût assister à mon banquet d’anniversaire, qui s’est déroulé hier. J’ai envoyé Thaumastus à Tibériade pour qu’il aille trouver Silas dans sa cellule. Il était chargé de lui dire : « J’ai été autrefois un messager d’espoir et de réconfort pour notre Seigneur et Maître le roi Hérode Agrippa lorsqu’il franchissait les portes de la prison à Misène ; je suis aujourd’hui ici, Silas, comme messager d’espoir et de réconfort pour toi. Ce pichet de vin en est le gage. Notre gracieux souverain t’invite à assister à un banquet donné en son honneur à Jérusalem dans trois jours et te permettra de te présenter, si tu préfères, sans l’insigne de l’Ordre qu’il t’a conféré. Tiens, prends ceci et bois. Quant à moi, voici le conseil que je te donne, mon ami Silas : ne rappelle jamais aux gens les services que tu leur as rendus dans le passé. Si ce sont des hommes honorables et reconnaissants, ils n’ont nul besoin qu’on les leur remémore, s’ils sont ingrats et sans honneur, cela ne sert à rien. »
Silas avait ruminé durant tous ces mois l’injustice dont il avait été victime et il brûlait d’envie d’en parler à quelqu’un, en dehors de son gardien. « Alors, c’est donc là le message du roi Hérode ? dit-il à Thaumastus. Et je devrais sans doute me montrer éperdu de reconnaissance ? Quel nouvel honneur compte-t-il me conférer ? L’Ordre du Fouet, peut-être ? Un honnête homme a-t-il jamais été aussi cruellement traité par un ami que je l’ai été par le roi Hérode ? Croit-il que les terribles souffrances que j’ai endurées ici et l’isolement dans ma cellule m’auront appris à tenir ma langue quand je me sens tenu de dire la vérité et de faire honte aux conseillers qui lui mentent et aux courtisans qui le flattent ? Dis au roi qu’il n’a pas entamé mon courage et que s’il me libère, je célébrerai l’événement en mâchant mes mots moins que jamais. Je raconterai à la nation entière tous les dangers et tous les malheurs que lui et moi avons traversés ensemble, comment j’ai toujours pour finir sauvé la situation alors qu’en restant sourd à mes conseils, il nous acculait au désastre, et comment il m’a généreusement remercié de mes services avec une lourde chaîne et un obscur donjon. Non, jamais je
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