Comment vivaient nos ancêtres
qu’on précipite brusquement dans la mer » ?
Outre qu’ils guérissent la rage, les bains de mer se voient bientôt prêter d’autres vertus. Ils « resserrent les vaisseaux et les rétablissent dans leur tonus […] et resserrent les fibres de ceux qui les ont trop faibles ». Il est donc accepté de prendre un bain de mer sur prescription médicale, à condition de subir un véritable supplice. Pour le reste, la mer n’attire personne, même si elle fait rêver un Bernardin de Saint-Pierre. Les Dieppois, quant à eux, n’ont de souci que de s’en cacher la vue, car elle n’est pour eux « qu’occasion de souffrances et de contrariétés ».
Tout va changer, en 1806, lorsque la comtesse de Boigne, une des grandes dames de l’époque, éprouve du plaisir à prendre des bains de mer. Son exil en Angleterre lui a permis de voir la « high society » britannique, prince de Galles en tête, se baigner à Brighton, et elle décide d’essayer. Quelques années plus tard, la reine Hortense honore à son tour Dieppe de sa présence. On lui a aménagé une cabine spéciale où elle revêt « une grande blouse en laine chocolat fermant au col et un serre-tête en taffetas ciré qui renfermait ses cheveux blonds ». Deux matelots, habillés de laine et portant des gants en fil blanc, la portent au-dessus des flots et lui font faire le plongeon. Pourtant, la reine se lasse de ces exercices et préfère prendre ses bains dans une baignoire remplie d’eau de mer chauffée.
La mode ne sera réellement lancée qu’en 1824, lorsque la duchesse de Berry, belle-fille du roi de France et nageuse intrépide, se lance dans les flots. Elle est accompagnée de M. l’inspecteur des bains, en habit de ville, gants blancs et paletot de laine marron, galonné de bleu, sans oublier des bottes – à cause des crabes. Chacune des entrées dans l’eau de la duchesse est ponctuée d’un coup de canon. Un publicitaire ne ferait pas mieux aujourd’hui pour lancer un produit.
La mode est bel et bien établie et Alexandre Dumas a beau trouver hideux le spectacle des dames à la plage, les hôtels se construisent à tour de bras. Le peintre Boudin immortalise les estivantes à crinoline s’abritant sous leurs ombrelles, car qui dit plage ne dit pas encore soleil.
Et la Côte d’Azur, dans tout cela ? D’abord, elle ne s’appelle pas encore ainsi. Ce n’est qu’en 1887 que Stéphen Liégard, ancien sous-préfet et poète à ses heures, la baptise de ce nom dans un de ses écrits – il serait complètement oublié s’il n’avait inspiré à Daudet le personnage de M. le sous-préfet aux champs. Puis la Côte d’Azur, qui, avant 1860 et le rattachement de Nice, n’est française que pour partie, est bien trop loin de Paris pour attirer les foules. Elle ne réussit qu’à séduire les Anglais qui ont pris l’habitude de venir là aussi pour s’y soigner. Un certain lord Smolett a été le premier à séjourner à Nice à la fin du XVIII e siècle. Il lui a fallu six jours de voyage de Calais à Nice, au cours desquels il échappa de justesse aux brigands qui infestaient les monts de l’Estérel et manqua de périr noyé en traversant le Var à gué, car aucun pont n’existait. Installé à Nice, il trouva la ville d’une saleté repoussante et se dit importuné jour et nuit par les mouches, les puces et les punaises.
Autre découvreur, lord Brougham, ancien chancelier d’Angleterre. En décembre 1834, il conduit sa fille, de santé fragile, se soigner sous le ciel italien quand, à Saint-Laurent, au moment de passer le Var, des difficultés l’obligent à rebrousser chemin. La nuit va tomber. On se replie sur la première auberge venue qui sert aux voyageurs une soupe délicieuse et inconnue. Le lendemain matin, ils découvrent un paysage fabuleux et une plage de rêve. Lord Brougham décide de rester dans cette bourgade de pêcheurs et d’y faire construire un château à sa mesure. Le village s’appelle Cannes et la soupe était une bouillabaisse. Et voici la Côte d’Azur consacrée par les Anglais. Palais et palaces se multiplient. Les princes s’y précipitent. Rois, reines, grands-ducs russes et milliardaires côtoient les plus grands artistes et une foule d’aventuriers. Mais ce n’est là qu’un tourisme d’hiver qui, chaque année, ramène la reine Victoria dans son train de luxe privé. Chaque hiver voit aussi revenir l’aristocratie russe à la recherche des rayons de ce soleil
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