Comment vivaient nos ancêtres
l’intérieur de l’église est un véritable capharnaüm. Les vieux, sourds et sans voix, se contentent de psalmodier et de réciter leur chapelet. Les adultes bavardent dans les rangs, les uns se racontent des ragots et les autres parlent affaires avec le notaire ou le régisseur. À quoi s’ajoutent le désordre des jeunes enfants et bien souvent la présence de chiens, entrés eux aussi dans ce lieu saint et qui parfois, selon les dénonciations indignées des prêtres, viennent gâter, souiller ou dévorer les ornements.
Le grand moment n’est pas tellement celui de la communion qui est alors peu pratiquée. Au XVII e siècle le prêtre communie seul pendant la messe, les fidèles le faisant à la fin de la cérémonie. De plus, beaucoup de paroissiens hésitent à recevoir l’hostie à la messe dominicale, par crainte de devoir se confesser – on pouvait toujours être entendu par quelque oreille indiscrète passant près du confessionnal –, mais aussi par peur d’être mal jugé par les voisins – toujours eux ! – prêts à y voir un comportement ostentatoire. Le grand moment de la messe est donc plutôt le prône. Un long moment aussi, car bien souvent il n’en finit plus, tant le curé à de choses à dire à ses ouailles. En effet le prône dominical tient curieusement beaucoup de notre journal télévisé.
Sous l’Ancien Régime, en l’absence de garde champêtre qui informe la population des nouvelles importantes, il faut profiter de cette participation quasi générale pour faire passer l’information. Les ordonnances royales sont ainsi transmises aux curés pour être lues le dimanche. C’est ainsi qu’on est informé des dispositions d’Henri II contre le « recel d’enfant », obligeant les filles enceintes à faire des « déclarations de grossesse » ou, plus tard, de l’ordonnance interdisant les inhumations dans les églises, qui sont sans cesse rappelées.
C’est aussi par le prône – seul moment où le prêtre s’exprimait autrefois en français – que nos ancêtres apprennent la victoire remportée à telle ou telle bataille, le mariage ou la mort du roi, la cherté des grains, l’arrivée d’une comète, la célébration d’un Te Deum pour commémorer tel événement, sans oublier les actualités nationales et locales : baptêmes, sépultures et surtout mariages, avec la publication de bans invitant les personnes connaissant des empêchements (souvent pour parenté) à se manifester avant la célébration. On y parle également de la fabrique qui gère les ressources de l’église. Les observations ou réprimandes du curé à l’égard de ses paroissiens sont passées en revue. De temps en temps, une permission exceptionnelle de travailler l’après-midi, pour terminer la moisson quand le Seigneur a bien voulu redonner le soleil, est donnée par le curé.
Tout prône comporte un sermon et une instruction religieuse distillée à la communauté réunie. Certains curés sans imagination se contentent parfois de lire une homélie toute faite, rédigée par quelque savant ecclésiastique dans un style académique émaillé de latin et de grec. On imagine le peu de portée de ces sermons dans les campagnes comme auprès de la majorité des citadins. D’autres s’efforcent de trouver des mots plus justes et des images plus fortes. Le ton est quelquefois théâtral et grandiloquent. Certains prédicateurs aiment ainsi à apostropher, selon les époques, les personnifications du mal : de Jean-Jacques Rousseau au XVIII e siècle à M. Combes au XX e , sans oublier en son temps l’« infâme » Dreyfus, ou, au plan local, le maire et l’instituteur.
La plupart des prêtres se contentent souvent de raisonnements théologiques d’une mièvrerie affligeante qui, bien souvent, n’est guère perçue par les auditeurs. Un ouvrage, intitulé Curiosités théologiques pour un bibliophile, paru en 1908, en recense quelques exemples : « On prétend qu’un certain curé de Savoie, exhortant ses paroissiens à payer les dîmes, leur citait l’exemple d’Abel, qui ne manquait jamais de les acquitter très régulièrement et qui entendait la messe chaque jour, tandis que Caïn ne voulait ni aller à l’église ni payer les redevances du clergé. » De son côté, un prédicateur flamand décrit la robe que portait Jésus-Christ avec autant d’exactitude que s’il l’avait vue : « Elle estoit de couleur de cendres, ronde tant par haut que par
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