Comment vivaient nos ancêtres
ont vécu selon des schémas immuables. Leur vie, imprégnée des enseignements de l’Église et du catéchisme, orientée vers la préparation de « l’heure des heures » et de la félicité éternelle, est entièrement consacrée au travail, bien que jalonnée d’étapes qu’ils franchissent en commun ; la vie de chacun est alors régie par le groupe social, la profession, le sexe et la tranche d’âge, selon des rites que les spécialistes appellent les rites de passage.
La naissance marque l’entrée dans le monde des vivants, le baptême dans celui des croyants, le sevrage dans celui des enfants. Première communion et conscription, avec autrefois le cérémonial du tirage au sort, sanctionnent publiquement l’arrivée des filles et des garçons à la maturité sexuelle ; bientôt, le mariage les fait entrer dans le monde non seulement des adultes mais qui plus est des gens mariés. Alors se déroulent plusieurs vies parallèles, professionnelle, sociale, conjugale, jusqu’à ce que la maladie ou la vieillesse rappellent qu’« il n’est rien de plus certain que la mort ni de plus incertain que l’heure d’icelle », selon la belle et rituelle formule par laquelle commence généralement la rédaction des anciens testaments. La mort, puis l’inhumation sont donc les derniers rites qui conduisent nos aïeux à la béatitude éternelle ou aux flammes de l’enfer… Devant cette mort omniprésente et les mille et un dangers ou calamités qui les guettent – bon ou mauvais numéro le jour du conseil de révision, célibat marginalisant, stérilité infamante –, chacun s’en remet à tout moment à des procédés divinatoires qui viennent largement émailler et compliquer les scénarios de ces grands moments de la vie. Tout y est codifié, comme tout est symbole, signe, garantie. Adages et proverbes ne cessent de le confirmer, tout comme les histoires que racontent les vieux à la veillée.
Ces règles et ces habitudes, il n’est question ni de les contester ni de leur échapper. Leur origine nous est souvent obscure tant il faut remonter loin et se transposer dans un monde à bien des égards opposé au nôtre pour les comprendre. Même si, aujourd’hui encore, on se surprend à observer certains des usages ou des comportements qui nous ont été transmis au fil des temps, même si aujourd’hui nos valeurs nous empêchent de saisir le sens de certaines coutumes qui nous paraissent étranges, sauvages ou indécentes, comme « coucher en tout bien tout honneur » ou l’exposition des draps nuptiaux tachés du sang virginal, il faut se garder de se référer à nos mœurs pour juger celles de nos ancêtres. Lorsque l’on voit, par exemple, les femmes d’autrefois servir leurs maris à table, encore faut-il pour comprendre cette pratique savoir de quoi elle procède. À priori, mille scènes de la vie d’autrefois semblent aujourd’hui incongrues ou insolites : la sage-femme remodelant sans ménagement la figure du nouveau-né, le bourgeois goûtant le lait d’une jeune femme, la mariée tout de noir vêtue, le mari cocu promené sur un âne « à rebours », les danses dans le cimetière ou le procès pour la vente du trèfle qui y pousse, c’est tout cela que nous allons découvrir. Tous ces personnages souvent hauts en couleur, de la matrone au sergent-recruteur, du « croque-avoine » à l’oncle curé, sont autant de vies et de destins aujourd’hui oubliés et qui pourtant, des siècles durant, ont beaucoup plus marqué la vie de nos ancêtres que n’ont pu le faire Richelieu, Louis XIV, Robespierre, Chateaubriand ou Berlioz.
GARE AUX LIÈVRES ET AUX FRAISES :
LA FEMME EST GROSSE
« Quelles sont les principales fins du mariage ? », demande un catéchisme de 1782. « La première est de donner des citoyens à l’État, des enfants à l’Église, des habitants au Ciel. »
De fait, nos ancêtres « croissent et multiplient », selon les termes de l’Ancien Testament, tant et si bien qu’une femme, au cours de sa vie, se retrouve très souvent enceinte. Attendre un enfant est donc une situation parfaitement courante et banale, le plus souvent acceptée comme une loi de la nature.
Mais, à tout niveau cependant, on s’efforce de dominer, d’interpréter, de comprendre et même d’aider cette nature. Au moment de la conception, par exemple, on croit longtemps que tout dépend du bon mélange des deux semences. « Quand deux semences sont jetées,
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