Comment vivaient nos ancêtres
Excepté les malades mentaux ou certains handicapés physiques, les rares célibataires se voient automatiquement isolés, surtout dans les villes. Quant aux filles, leur nombre ayant toujours été sensiblement supérieur à celui des garçons, on trouve quelques esseulées devenues bonnes de curé, servantes de ferme ou de château, sans compter toutes celles qui se dirigent vers les monastères. Les vieilles filles caricaturales vont surtout apparaître au XIX e siècle, parallèlement au développement en ville du concubinage ouvrier dû à la fois à la baisse de la pratique religieuse et à la disparition des considérations matérielles ou patrimoniales.
Dans le monde ouvrier la procédure du mariage est différente de celle de la campagne. L’homme rencontre sa femme dans un bal ou dans l’escalier, et c’est l’affaire qui court. Si l’on a quelque argent, on invite les amis dans une guinguette. Jamais le mariage ouvrier, lorsqu’il est pratiqué, n’atteint les complexités du mariage rural. Il est vrai que l’enjeu n’est pas comparable et que l’on ne choisit pas un mari ou une femme selon les mêmes critères.
« ÊTRE PARENT OU PAS »
TELLE EST LA QUESTION
« Si tu le peux, marie-toi dans ton village, et si tu le peux dans ta rue, et si tu le peux dans ta maison », conseille un adage ancien.
Autrefois, le choix du conjoint n’est jamais laissé au hasard. Le mariage n’est pas l’affaire de deux personnes, mais de deux familles et d’un groupe social tout entier : celui du village. Certes, il existe en France divers types de structures familiales d’où ressortent des règles plus ou moins souples selon des processus juridiques et sociologiques fort complexes. Cependant il est d’usage de se marier dans son milieu. Les âges, les standings familiaux comme les professions doivent être appareillés. Une fille de cordonnier ne saurait pas aider un vigneron au travail de la vigne et vice versa. De la même façon, on répugne à épouser un étranger, et l’on sait qu’à ces époques quelques kilomètres suffisent pour se voir considérer comme tel. Jusqu’au début du XIX e siècle, 70 pour 100 des garçons épousent une fille de leur paroisse alors que les filles, qui sortent moins, s’y marient à 90 pour 100 ! Proportions encore plus fortes dans certaines régions montagneuses ou retirées. Se marier avec un gars d’une autre commune est longtemps sanctionné par la communauté des jeunes qui oblige le marié à leur offrir à boire, quand ils ne le « bizutent » pas avec des pratiques comme le charivari. On ne plaisante pas sur ces questions !
La plupart des paroisses d’antan recensent assez de filles et de garçons pour que chacun puisse y faire son choix. Mais les choses se compliquent lorsque l’on transgresse les interdits édictés par l’Église dans sa lutte contre l’inceste. Or, en ces temps-là, l’Église a de l’inceste une définition particulièrement large qui entrave à tout moment les amourettes villageoises. Si elle se contentait de bannir les unions entre proches parents, voire entre cousins germains, on ne s’en plaindrait pas, car de tels mariages sont peu estimés. « Mariages entre parents, courte vie et longs tourments », dit-on en Gascogne et en Provence, et partout l’on raconte qu’ils ne donnent que des enfants débiles, monstrueux ou souffreteux. Mais l’Église va beaucoup plus loin. En effet, elle interdit le mariage jusqu’au septième degré de parenté jusqu’au concile de Latran, puis, du XII e siècle à 1917, jusqu’au quatrième degré. De ce fait, un homme ne peut alors épouser aucune de ses cousines issues d’issus de germains, c’est-à-dire aucune des arrière-petites-filles des frères et sœurs de chacun de ses huit arrière-arrière-grands-parents. Concrètement, à ce degré et aux degrés intermédiaires, il en comptabilise facilement plusieurs centaines, soit près des deux tiers des filles du village qui lui sont de ce fait interdites. À toutes ces parentés, l’Église ajoute celles par affinité qui, contrairement aux précédentes, résultent non du sang mais d’une alliance. Un veuf, par exemple, ne peut épouser ni ses cousines ni celles de son épouse à commencer par ses sœurs. Enfin est pareillement prohibée l’union avec un « parent par l’esprit ». On a vu que le baptême donnait à l’enfant, conjointement aux parents par la chair, des parents nouveaux en la personne du
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